La boussole aux dires de l'éclair de Jean-Paul Bota par Bernard Pignero

Les Parutions

25 mars
2017

La boussole aux dires de l'éclair de Jean-Paul Bota par Bernard Pignero

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Poétique de Jean-Paul Bota

 

L’écriture de Jean-Paul Bota ressortit au palimpseste. Ses recueils, ses livres ne sont jamais définitifs. Chacun d’eux reprend des éléments de précédentes publications pour y ajouter une fine couche de réflexions, de réminiscences ou de citations, ou parfois pour en augmenter considérablement la teneur comme si la première livraison du texte ne constituait qu’un extrait d’une publication à venir ou des notes pour un écrit en cours de maturation.

Ainsi, en 2011, Jean-Paul Bota livre en revue un fragment intitulé Londoniennes qu’il reprend en 2016 dans La boussole aux dires de l’éclair mais largement augmenté de nouveaux développements. De même, un premier extrait intitulé Airaines est repris et augmenté dans ce récent volume publié chez Tarabuste. Le chapitre sur Chartres occupe vingt pages dans Usage des cendres (Le préau des collines 2010) alors qu’il en compte trente dans La boussole aux dires de l’éclair.

Comment comprendre cette façon de livrer une œuvre au public ? Est-ce une façon de « roder » un texte en préparation, d’en proposer une ébauche ? Encore faut-il noter que l’auteur considère ne plus pouvoir modifier un fragment publié sinon en y ajoutant des appendices, notes, variantes mais jamais en récrivant le texte initial ni en l’amputant à la façon dont un peintre peut se permettre des « repentirs » ou des « repeints ». S’il s’agit d’ébauches, ce n’est sûrement pas au sens d’une formulation approximative qui demanderait à être améliorée dans une publication ultérieure. J’y reviendrai.

Mais auparavant, il importe de s’entendre sur la terminologie : Jean-Paul Bota est un poète. C’est incontestable et incontesté. Il est publié par des revues, par des éditeurs de poésie. Mais je me refuse à parler de poèmes, de poésie, à propos de ce que je lis sous la plume de celui que je considère néanmoins comme un des poètes les plus authentiques de sa génération. Jean-Paul Bota pense en poète, vit en poète. Mais il respire un autre air, voit le monde avec un regard différent. Sa façon de vivre son art poétique – sa sensibilité créatrice – n’est pas seulement celle d’un poète qui refuse l’expression poétique traditionnelle. Son regard sur le réel n’accepte pas d’être figé dans une forme référencée. Il doit créer son propre mode d’expression.

En annonçant que l’art de Jean-Paul Bota relevait d’un recours au palimpseste, je me référais à la façon dont Baudelaire parle de « l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire ». Et là, on est bien au cœur de la création de Bota. Reprendre un texte déjà publié et y adjoindre de nouveaux développements ressemble bien à la façon dont travaille la mémoire. Mais alors que chez tout un chacun la mémoire « revient » inopinément sur des réminiscences d’images, d’expériences, de conversations, de lectures qui nourrissent la pensée immédiate, chez Jean-Paul Bota la mémoire est active en continu ; elle se confond avec le regard.

Il convient, non plus seulement d’envisager la façon dont ces textes s’imbriquent les uns dans les autres dans des développements métastasiques mais de parler de quoi sont faits ces fragments. L’écriture de Bota est profondément déroutante en ce qu’elle traduit en une forme compacte, souvent hermétique, une approche du réel qui fait concomitamment appel à la mémoire et au regard, autrement dit à une sorte de regard intérieur nourri à la fois du vécu immédiat, de réminiscences empruntées au registre de la sensibilité et à une culture aussi vaste que variée dans ses objets. Chaque fragment livre dans un seul geste – et là, il s’agit bien d’un geste poétique – un regard sur le monde mêlé à des échos de références culturelles, souvent inattendues, et à des notations dont on ne peut savoir si elles sont issues du vécu de l’auteur, de rêves ou de rêveries, de lectures, d’œuvres d’art contemplées…

Cet écrivain voyage dans le temps, dans l’espace et dans l’inconscient, ou si l’on préfère dans l’universel et l’intemporel. Chez lui, le réel se mélange au virtuel de façon inextricable. Cette écriture est donc par essence en perpétuel abime spatiotemporel ; elle appelle par nature la variation, l’ampliation que l’on observe dans les diverses versions publiées. Elle procède à la façon désordonnée, chaotique, aléatoire dont la pensée travaille mais on a affaire à la pensée d’un être doué d’une sensibilité insatiable et qui ne s’accorde jamais de repos.

C’est en ce sens, bien plus que pour des questions de forme, que l’écriture poétique de Jean-Paul Bota ne relève pas du poème. Ou alors il faut admettre que le poème que Bota écrit est infini, en perpétuel devenir et ne pourra revendiquer éventuellement cette dénomination qu’au terme de sa création, c'est-à-dire vraisemblablement au terme de la vie du poète. Jean-Paul Bota ne saurait se soustraire à son œuvre en la considérant comme achevée. Il est condamné, – car c’est son mode de vie, sa respiration même qui sont en jeu – à chercher inlassablement son impossible aboutissement. Jean-Paul Bota n’écrit pas une œuvre, il vit cette œuvre. Il écrit sa vie. Le réel et sa vie se confondent.

Or ce qui relève de l’art poétique consiste à exposer cette confusion à l’aide de mots. Et pourtant, ce choix de l’écriture, cette confiance qu’il faut bien accorder aux mots est bien le pire défi qu’il pouvait s’imposer de relever. Mais avait-il le choix ? L’alternative à une telle quête du réel n’est-elle pas la folie ? Le lecteur confronté au bilan toujours provisoire de cette quête, au butin toujours incomplet de ce combat, hésite entre la fascination, la sidération ou le rejet. Il ne peut en être autrement et, sans doute, le lecteur même attentif est parfois désarçonné par la difficulté d’entrer dans ces textes et d’y respirer sans suffoquer. C’est que l’art de Jean-Paul Bota nous renvoie plus facilement à notre propre rapport à la folie qu’à une aptitude poétique que nous sommes loin de partager avec un poète qui s’élève à cette altitude-là. Le lecteur a même souvent l’impression que le poète s’ingénie à lui rendre difficile, voire impossible, l’accès à son discours. Non par mépris ou par coquetterie mais par humilité : il ne prétend nullement bâtir des remparts autour de son discours et s’y enfermer comme dans une tour d’ivoire mais au contraire il se tient aux côtés du lecteur, à l’extérieur du réel, en pointant les obstacles qui l’empêchent d’atteindre le but recherché. Les références, les citations, les allusions sont autant d’embûches à éviter sur le chemin que les mots tentent de baliser. Ce sont autant d’avertissements que de témoignages de complicité.

Ainsi, on peut dire que l’art poétique de Jean-Paul Bota doit, s’il veut toujours être à la pointe de son exigence, se méfier de tout ce qui peut ressembler, par défaut ou par excès de sens, à de la poésie. Si l’on admet ce paradoxe comme une des clés essentielles qui ouvre l’œuvre de cet inclassable poète on aura accès à un projet littéraire inédit dont les évolutions n’ont probablement pas fini de nous surprendre et de nous émerveiller.

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Tarabuste , 2016
248 p.
18 €

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