Le temps fait rage d'Olivier Domerg par Emmanuelle Bayamack-Tam

Les Parutions

18 févr.
2016

Le temps fait rage d'Olivier Domerg par Emmanuelle Bayamack-Tam

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     Olivier Domerg explore une espèce d’espace. Ce faisant, il nous prend avec lui. Par surprise – parce que d’un écrivain sur le motif, on s’attend à ce qu’il nous fabrique du pré ou nous livre son carnet du bois de pin. Or tout en le faisant, tout en voulant et tout en reconnaissant le faire, Domerg fait tout autre chose. Certes, il s’inscrit dans le paysage, qu’il arpente, qu’il foule aux pieds et qu’il balaie du regard, avec obstination. Mais ce qu’il égrène dans sa course, entre inventaire et invention, ne ressemble qu’à lui.

     Il est sur un sentier balisé, pourtant, un sentier de très grande randonnée, où l’ont précédé d’autres marcheurs fameux. Il le sait, il en joue sans cesse, et le texte se fait l’écho de ses scrupules et de ses hantises. Hantise de la trahison, hantise de l’imitation servile, hantise de la soumission au déjà pensé, déjà écrit, déjà vu. L’espace est comme une phrase sans aucun mot : et si, par mégarde ou par paresse intellectuelle, le scripteur allait le remplir, le saturer, le polluer par des témoignages de seconde main ? Autant le dire tout de suite, la paresse intellectuelle n’est pas le fort d’Olivier Domerg. On n’a pas à craindre ici, que le regard, la phrase ou la pensée n’aille dévaler tranquillement la pente pour s’envaser plus loin, dans de mornes plaines déjà défrichées. La promenade ne sera pas de santé. Elle sera géologique, botanique, entomologique, ornithologique, elle sera grand remplacement – du paysage par la page.

     Le remplacement a lieu. Sauf que le paysage reste en place : la montagne, poudrée de vert & blindée d’aplats gris n’a pas moufté, ne mouftera pas, fin des joies de l’interprétation. altitude zéro. La montagne, c’est la Sainte-Victoire, jamais nommée. Pas plus que ne l’est Cézanne. Ils sont là, pourtant, et c’est l’une des grandes forces de ce texte que de les nommer sans le faire, par le biais, par le détour, par l’arpentage obstiné, qui ne vise pas l’ascension mais autre chose.

     Ce qui est visé, à défaut d’ascension, c’est peut-être la tension. Une tension qui s’obtient par l’évitement et presque la proscription de – on cite, en vrac – : l’artifice, la mise en scène, la fiction, le lyrisme, les effets… On n’est pas pour autant dans une écriture blanche, et c’est là où Le temps fait rage réserve d’autres surprises, fabriquant sans cesse sa propre incongruité. Car la présence immémoriale, hiératique, marmoréenne, de la Sainte-Victoire, n’est qu’une des lignes de force du texte de Domerg. Cette présence imposante et impressionnante n’empêche pas les écarts burlesques, le surgissement de Jimmy Connors ou de randonneurs pressés de griller la politesse au promeneur solitaire. En même temps qu’enragé, ce texte est puissamment drôle.

     On pourrait s’en tenir là, et ce serait déjà beaucoup. Car en réalité, l’ascension a lieu, le lyrisme advient et l’élégie affleure. Au corps défendant du scripteur, mais ce n’est pas son affaire. La sienne était de surprendre au plus près le surgissement de. Il n’empêche que dans le quatrième de ces chants-séquences si singuliers, quand Domerg nous donne à entendre celui des cigales, ce chant infernal, on perçoit avec lui comme un écho, la trace persistante d’autres promenades et d’autres étés – l’été fuyant de ce qui fut. L’enfance est là, elle infuse le texte en douce, mais il n’en sera ni la déploration ni le tombeau. Une stèle pour mémoire, peut-être.

 

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