Comment s'en sortir sans sortir de Ghérasim Luca par Jacques Barbaut

Les Parutions

05 sept.
2008

Comment s'en sortir sans sortir de Ghérasim Luca par Jacques Barbaut

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Lumineuse idée que proposent les éditions José Corti en mettant en circulation, vingt ans après sa production (1988), le « récital télévisuel » réalisé par Raoul Sangla, performance devenue culte parce que aussi introuvable...
Écouter-voir les huit textes extraits des recueils Héros-limite, le Chant de la carpe et Paralipomènes - dont les deux pièces d'anthologie « Prendre corps » et « Passionnément » - pour la juste perception desquels Ghérasim Luca, debout (sans pupitre, ni table ni chaise), en légère rotation (ou d'infimes mouvements circulaires de la caméra), emploie toute sa science oratoire, sa redoutable décomposition ontophonique (« mon éthique phonétique »), son art articulatoire-masticatoire (rugosité d'une langue avec ses rauques restes de l'est) au service d'un envoûtement mantra. Redécouverte in-ouïe de quelques-uns de ces textes, qui énigmatiques qui somptueux (« suis-je le son de mes songes ? ») ; exercice d'écoute et de lecture (tant il est vrai que certains qui semblaient sur la page hermétiques, glaçants ou imperméables s'éclairent ici et se déploient à la manière de ces fleurs de papier japonaises qui une fois trempées dans un verre d'eau consentent enfin à s'ouvrir). Scansion et dispersion moléculaire des phonèmes (de « mort folle » à « métamorphose ») et modulation des syllabes (« une lettre, c'est l'être lui-même »). Économie des moyens, leçon de sobriété et de rigueur, de respiration - de rythmique -, évidente (« pour une vie dans vidant ») abstraction du noir et du blanc (système fond blanc-costume noir-pages blanches), sans accessoire autre que cette bouche qui déclame, fore et profère, vrille et instille. Où la langue progresse par pas - pas - papa - passe - passe-passe - pas si - passion - passionné - passionnément -, bonds et reprises, par courbures, anneaux de Moebius et tournants en épingle à cheveux, où toute la langue se met à tanguer avant de chavirer dans le chant, la psalmodie, la vocifération ou le cri (savante distribution des périodes), sans rater ces redoutables échappées ou trouées dans le pur et sain comique : « l'appel d'air du rire / à mourir de fou rire ».

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