La poésie entière est préposition, Claude Royet-Journoud par Jacques Barbaut

Les Parutions

17 févr.
2024

La poésie entière est préposition, Claude Royet-Journoud par Jacques Barbaut

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La poésie entière est préposition, Claude Royet-Journoud

 

L’histoire littéraire est riche de relations éditeur/auteur contrastées, passionnelles ou conflictuelles, idylliques ou exécrables — comme elles viennent spontanément à l’esprit : Verne/Hetzel, Gracq/Corti, Beckett/Lindon… —, mais celle qui s’esquisse ici est emblématique, puisque Éric Pesty, fondateur des éditions portant son nom, fut l’auteur en 2005 d’une thèse de doctorat en lettres modernes (sous la direction de Jean-Marie Gleize) ayant pour sujet la notion de récit chez Claude Royet-Journoud (en accès libre au format pdf sur le site de la maison), « Le récit se déploie », thèse vouée à l’auteur qu’il republie ce jour, ainsi que d’une bibliographie à lui consacrée extrêmement détaillée (sans omettre sa notable activité de revuiste, de « A » à Zuk) dont la première partie (1962-2003) ne compte pas moins de 180 pages.

 

Témoignage de cette entente, ou complicité, de cette affinité entre l’éditeur et son auteur : « Un 12 mai, rue de l’Aqueduc », un entretien où É. P. dialogue avec C. R.-J., s’avère la plus longue (vingt-cinq pages, de 45 à 69) des sept parties que ce livre comporte.

 

Extraites de cette conversation — un « mur-mur » ? —, ces bribes :

 

« On est toujours dans le langage, on n’arrive pas à s’en dépêtrer, c’est impossible. Donc, comment fait-on pour longer ce mur, sans jamais réussir à le contourner ? On en revient effectivement à cette limite. [Silence.] » (p. 49)

 

« D’où la volonté d’un langage simple, quotidien. Ce qui n’empêche nullement de se heurter au “ mur du langage ” dont parle Kraus. [Silence.] » [67]

 

Comme pour infirmer qu’on se cognerait inlassablement à un mur — La Notion d’obstacle, Gallimard, 1978 —, lequel semble bien « incontournable », sinon infranchissable, le rappel de cet apparent paradoxe qu’on trouve dans Un privé à Tanger, d’Emmanuel Hocquard (P.O.L, 1987), dans la section de quinze pages « Conversation du 8 février 1982 », ou « Moi » (E. H.) dialogue avec Claude Royet-Journoud (C. R.-J.) :

 

Moi. — Oui, d’ailleurs, à la fin de l’entretien avec Mathieu Bénezet tu [C. R.-J.] avais opposé la clôture du sens qu’il pouvait y avoir dans le vers d’Éluard « La terre est bleue comme une orange » à ce sens qui reste toujours ouvert, toujours possible à réinventer, du vers de Marcelin Pleynet « Le mur du fond est un mur de chaux ».

 

Dans La poésie entière est préposition, cette comparaison est reprise — et c’est bien la même chose : la réaffirmation d’une préférence a priori contre-intuitive, même si l’argumentation est précisée :

 

« Ce qui fait problème, c’est la littéralité (et non la métaphore). C’est mesurer la langue dans ses unités “ minimales ” de sens. Pour moi, le vers d’Éluard La terre est bleue comme une orange est épuisable, c’est-à-dire s’annule par son surcroît de sens, tandis que, par exemple, Le mur du fond est un mur de chaux de Marcelin Pleynet reste et restera, je crois, pour son exactitude même et dans son contexte bien sûr, paradoxalement, infixable quant au sens, donc porteur d’une fiction constante pour chacun. » (p. 13, « Un métier d’ignorance »)

 

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« Mur » et « surface plane », « mur de chaux » ou « page blanche », « mur » et « résistance » (comme on parle de celle des matériaux) ; entre quatre murs : une table, et sur cette table, une feuille…

 

« Je préfère la surface, le plat et pour tout dire la platitude puisqu’elle seule met le monde en demeure de nous répondre. » (p. 22)

 

« Le texte a une peau, un épiderme. La moindre variation typographique (romain, italique, tiret, etc.) y joue un rôle non secondaire. » [39]

 

« Quelque chose qui propose une surface lisse et qui soit la véritable peau du livre. » [67]

 

« La question du bord, de la limite… et puis de la surface que propose une langue ; les espèces de crevasses, d’accidents, de perturbations qui ont l’air d’agiter cette surface de façon à peine perceptible. » [68-69]

 

« J’aime cette résistance (au sens). » [37]

 

« L’infiltration d’une syntaxe, d’une phrase, d’un vocabulaire, d’une pensée entrée en résistance. » (p. 77, « joint / bord à bord / sans mortier » — l’intitulé de cette ultime partie semble tiré d’un manuel de maçonnerie)

 

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« Un tas de briques, ce n’est pas un mur. » [81]

 

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Dans sa nouvelle édition augmentée, La poésie entière est préposition peut être considéré comme l’« art poétique » de Claude Royet-Journoud. (Éric Pesty)

 

 

 

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