Epopopoèmémés de Sanda Voïca par Pascal Boulanger

Les Parutions

24 mars
2015

Epopopoèmémés de Sanda Voïca par Pascal Boulanger

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Il y a de la crainte, du tremblement mais surtout de la souveraineté dans la traversée de Sanda Voïca qui annonce dans ce livre singulier : Me voir-entendre depuis un autre versant.

Il y a aussi un maximum de versions, celles des langues et des lectures qui résonnent et s’entrechoquent, au jour le jour et sans repentir, dans cet ample poème épique. L’épopée de Sanda Voïca (que le titre du livre suggère ironiquement) convoque tous les temps du sensible qui se conjuguent dans une écriture à la fois concentrée et déconcentrée. Elle chemine au trot, à l’écoute du dehors et tout autant dans le galop d’une parole indomptable jouant sur les associations, les jeux de mots et de sens, les performances, sur les rêves et les hypothèses de l’inconscient. Refusant la rétention et aussi la confidence, convaincu comme Nerval que la parole poétique, comme l’imaginaire, est une seconde vie, cette poète prolonge les possibles et noircit la nuit plus vite que les nuages. Avant tout, elle sait associer art mineur et art majeur, en se décentrant et en s’éparpillant dans une vie et une écriture qui vident la mémoire. Penser sa dépense relève bien de la kénose, tendre à la poésie c’est se vider et s’anéantir dans le suintement du poème qui « coule de source » en prolongeant le sensible dans de longues laisses. Le clinamen (l’écart, la déclinaison des atomes) qui évite de tomber dans le vide et permet un point de rencontre concerne une double adresse. A soi-même d’abord, à condition de ne pas céder sur ses propres désirs, à la jouissance-papier mise en partage également, dans cet espace où rien ne manque. Il s’agit bien de bander l’arc pour atteindre la cible :

Bander – abolit tout ce que vous voulez : espace, temps, parents, prisons, névralgies, chaussettes sales, mauvaise haleine, la chute des empires (…)

Se comparant à une poupée russe, Sanda Voïca parvient à emboîter sans fin son sommeil dans l’éveil et inversement, proposant ainsi un art poétique où toutes les facettes du réel sont prises en compte :

Approfondir mon sommeil – Comme toute chose

Approfondir l’éveil – Comme toute chose.

Mais la poupée russe est également en position d’équilibriste, elle avance au-dessus du vide ou dans le vide ennuyeux de l’éternel péché (Baudelaire). L’état mélancolique, comme le plérôme, s’écrit en étant perméable au dehors : beaucoup de vent – à Coutances – de ciels changeants, de tonnerre et de grêle, de bruit de tuiles cassées venant du toit et sous lequel se tiennent les yeux et les doigts sur l’écran et le clavier. Le poème du Sujet s’écarte du récit subjectif et la chambre noire de la vie intérieure déplie, revisite, entrecroise les faits, les intrigues, les fantasmes, les sensations et les lectures de Sanda Voïca, pour former une poétique de l’événement qui est combat musical et maitrise du temps.

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