CCP n°23, dossier Alain Veinstein par Katy Rémy

Les Parutions

22 juin
2012

CCP n°23, dossier Alain Veinstein par Katy Rémy

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Translecture du Dossier Alain Veinstein




Parfois j’imagine que je n’aurai jamais connu minuit sans sa voix, comme s’il s’était approprié minuit, le signait à la manière de Klein le ciel.
Tous les dossiers du CCP ont la même forme. Un entretien, des témoignages et des critiques. Celui-ci est justement bleu quasi YKB. Cette fois chaque page de texte est encadrée par deux bandeaux formant comme une pellicule filmographique, une œuvre de Claude Royet-Journoud, répertoriée au sommaire sous le titre de 23 récifs marginaux pour Alain Veinstein.


Le ton. Je saute l’incongru vouvoiement de Jean Daive pour souligner l’évidente affection dont chacun témoigne envers lui et particulièrement Yves Bonnefoy, alors qu’aucun ne s’épanche sur leur relation d’homme à homme loin du micro ou du livre. Une seul, Jean Roudaut, lui donne corps et quel corps, celui de L’homme qui marche ! auquel Bonnefoy ajoute un visage, une expression « indissociable de la nuit » une photo très émouvante parce qu’elle n’incarne pas A.V. on dirait qu’il a capturé son fantôme. La voix. Cette voix n’est pas seulement a cloud facing a micro, elle arpente Paris, mais également Vilnius avec Philip Roth. Esther de Salmona lui donne même une origine physique « la lèvre supérieure est souple, musclée légèrement en surplomb, avec des commissures remontées…une forme de gouaille par abaissement et chantournement de la direction vocale ». C’est elle qui fait A.V., c’est elle qui le masque, c’est elle qui le tient en vie, et c’est elle qui dialogue avec lui dans ce qu’il écrit (il confirme : Voix seule, 2011). Comme si l’élocuteur interrogeait un miroir pour reconnaître qu’il est vivant. Lui même y voit la fin de toute chose « Cette fois je ne ferai plus qu’un/avec ma voix/malgré les grésillements/les distorsions, les stridences quelquefois ». Le carré. C’est la forme commune du dossier : à tel point qu’en la voyant apparaître d’article en article c’est un autre dialogue qui s’instaure entre les auteurs. Le tableau, l’atelier, le théâtre, le studio, les quatre planches, la prison, et le livre ultime et éternel. Un carré sur une table qui pose toutes les questions par sa quadrature même, par la mathématique du carré se surmultipliant jusqu’à évoquer la quadrature du cercle. La répétition, Le récit. Ainsi en se répétant, en se repassant de l’un à l’autre une forme, un enregistrement, chacun fait avancer notre perception. A.V. procède ainsi « La poésie est la reprise » dit Bonnefoy, « Dans cette nuit d’années » répond Veinstein, qui ajoute « Creuser, reboucher, tasser/c’est la vie même » où renchérit Amaur da Cunha. Laure Adler évoque les « ritournelles ». L’étau se resserre sur les fondamentaux. Sur les parents morts, sur la shoah. La pelle de l’enfant remuant la terre remplace la bobine de Freud. Par le thème de La terre dont parle bien I.B. Howald. Elle note que pour A.V. « Le récit est une hantise » ; la répétition le conduit à un resserrement, et de conclure : « ne pas écrire est alors un mouvement actif… permettant au récit d’avancer ». Stylistique. Christophe Stolowicki fait de cette répétition son argument. De la tranquillité de la composition. D’une « langue intelligible à tous… Il m’est irréductiblement étranger. Il me parle sans cesse de moi ».

Lire un dossier du CCP c’est enquêter, interroger des témoins dont l’auteur, en l’absence du cadavre, dans une supposée méconnaissance du corp-texte. La disparition elle-même comparaissant au titre de coupable : « Qu’avez-vous fait de l’œuvre ? Où est l’auteur ? Le Journalier ? L’Accordeur ? L’Interviewer ? Le Danseur ? Le Chanteur ? L’Acteur ? Pour être s’est-il polyincarné ? Pour qu’il vive fallait-il le tuer ? »
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