Voire de Maël Guesdon par Emmanuèle Jawad

Les Parutions

20 janv.
2015

Voire de Maël Guesdon par Emmanuèle Jawad

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Voire de Maël Guesdon rassemble cinq sections de prose courte à l’écriture singulière.

Le titre, dans sa pluralité sémantique et son étymologie, renvoie simultanément à la vue dans un jeu homophonique, à la véracité et l’expression « voire même » sous sa forme elliptique.

 Voire s’ouvre sur un premier fragment recouvrant un espace d’abstraction : géométrique (« cercles »), mental (« esprit », « fable »). Un ton d’étrangeté émane d’une énumération de référents de nature différente : ce qui a trait au corps, ce qui se réfère à un caractère particulier, écarts en même temps que liens tissés entre les registres, domaines et les matériaux (« De tout collecte les séries : os cheveux lenteur bois déchiré. »

 Les pronoms il et elle permettent les connexions et l’ancrage des fragments dans une unité textuelle. S’ils sont des éléments structurants de l’ensemble, ils se révèlent en même temps énigmatiques, dans leur participation singulière au monde (« …le défilement dans le temps et le défilement dans son corps n’étaient plus synchrones. » p.16). Les coupes dans l’articulation des propositions, les torsions syntaxiques et effets de  cassures (notamment dans la clôture le plus souvent inattendue des phrases) et l’omission  fréquente du sujet (ou sujet relégué dans d’autres fragments, disjoint de son verbe), concourent, dans leur mise en situation, à l’émergence d’un caractère d’étrangeté.

 Si les sujets se trouvent parfois  éludés, laissant alors les verbes conjugués seuls en début de phrases, le sujet « toutes choses », tel un motif, se présente en amorce récurrente des propositions. Le prolongement des phrases peut s’établir d’un fragment à l’autre, dans l’avancement du texte, qu’il s’agisse d’un prolongement ou d’une reprise, y ajoutant alors un élément complémentaire (ainsi « Si l’on voit encore ce que voient. » p.10 et « Lorsqu’il découvre. Qu’il ne voit plus ce que voient ses yeux. » p.24)

 Les ruptures, dans le développement de la proposition, rendant la phrase, par endroits, segmentaire, superbe dans sa radicalité, peuvent  s’accompagner de torsion syntaxique « . où supprime j’ai des sensations que tu ». Le travail de la langue s’opère également dans des inversions (pronom il devenant elle, l’interrogation dénuée de signe interrogatif mutant en phrase affirmative, ainsi « Cela fait-elle un monde. » p.11). Dans l’intériorité de la sensation, l’inadéquation entre temps réel et ressenti semble rejoindre les notions d’inquiétude et de peur, perte, prégnantes dans l’ensemble du texte. L’espace parcouru (« Sauf comme habitable. » p.19), recouvre celui délimité, dans sa représentation, à un lieu intérieur (entrée, couloir, miroir, en sont les principaux référents), un espace également  corporel, un extérieur où les éléments rejoignent les sensations. Si dans la première section, les sens privilégient celui de la vue et de l’ouïe, les éléments (eau, feu), dans la seconde partie, marquent le texte dans leur lien à la peur (en filigrane, noyade / incendie) où le fragment alors se désolidarise, dans une introduction de blanc, en un fragment troué, dans l’élaboration du poème en vers (section 2).

 Dans un flux retenu, pouvant être syncopé,  les énoncés opèrent ainsi, dans l’assemblage de phrases liées à la syntaxe claire et de propositions segmentaires (par à coups et avancées progressives), composant ainsi une surface textuelle rugueuse et travaillée (de l’intérieur -même des phrases, allant jusqu’à les retourner sur elle-même, ainsi « Du monde si, des fumées sur sa jambe elle attend. » p.18). Des traces d’oralité ou d’un registre de langue différent, mises en italique, s’introduisent également au sein des fragments, troublant la fluidité de la proposition. La recherche rythmique, dans un traitement incessant de la langue, donne toute sa singularité et sa beauté à l’ensemble.

 

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