Complainte du survivaliste anonyme par Lucie Delpierre
Une âme rougit au bout du couteau que
je chauffe à blanc (dit le survivaliste)
au bord de la rivière flasque
comme le mercure azur qui ne redescend plus
au thermomètre comme s’il voyait pointer
à l’horizon (et attendait lui aussi) la
fin du monde en silence.
Avec le seul orage pour oracle, il ne,
survivaliste, recherche plus l’éternité dans les petites
annonces, ni la gloire éphémère des artistes de l’éternel
dimanche matin, du recommencement de ce qui n’a gardé
de l’espérance qu’un mot qui nous dégoûte,
qu’on ne sait plus dans quel contexte utiliser.
L’espoir, pour lui, ressemble à une couche gâtée
opaque opalescente comme ces beautés
plus volatiles que l’air même qui le narguent encore
en souvenir.
Ne lui est plus resté que le courage
d’aménager sous la décadence des saisons
une vie en ruines un univers crevé
où se laisser aller à sa dernière passion, la plus
aveugle et la plus folle : survivre, comme le chant,
réduit à une seule note tenue, d’un cygne
échappé de l’asile.
Dehors, ils peuvent
répandre leur semence dans des orgies,
le viol de la terre par le ciel résumant
notre réel. Pauvre bête qui prétendait
dire l’indicible et vaincre l’invincible,
chimère à tête de vertige, droguée à la
mansuétude, se foutant en l’air dans des
shoots de miséricorde, et tout le reste avec,
les animaux de la pitié, qui n’auront qu’un
moignon de rédemption.
Comme l’écolier une récréation
universelle, j’attends, dit le survivaliste,
prostré contre le pupitre mystique où chutent
les éboulis du monde, j’attends, serein, le trou
infini du néant, l’intérieur du dehors,
l’autre côté du temps qui reste.