La poésie n'a pas suffi ... par Boris Kadosh

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La poésie n'a pas suffi ... par Boris Kadosh

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La poésie n’a pas suffi à mon frère
Il s’est pendu le lundi 13 janvier 2014
Aux alentours de vingt-trois heures
Une écharpe autour du cou

Pour ne pas prendre froid
C’était l’hiver et personne n’était là
Mon père a découvert le lendemain de sa mort
Un mardi au milieu de l’après-midi
Son corps en suspension
Un jour après lui

Je ne pourrai jamais savoir ce qu’il a ressenti
Son fils se balançait
Seulement
La vie l’avait trahi

Mardi 14 janvier je ne pleurais personne
J’ai appris son suicide
Deux jours après
Un jeudi soir

Après une histoire d’autoroute
D’étape à Narbonne et de chalet à vendre
Mon père cheminait
Mais j’entendais déjà au téléphone
Dans le creux de sa voix
La fin de quelque chose ou de quelqu’un

A la porte de mon immeuble
Quand je suis descendu
Pour l’aider à monter ses bagages
Je l’ai vu arriver seul et abattu

J’ai pensé aux disputes passées

Je n’ai pas eu le temps de le serrer dans mes bras

Mon père des sanglots retenus dans la voix s’est mis seul à parler
Je lui ai dit je crois seulement trois fois parle papa
Il était épuisé
Il s'étouffait après chaque mot
Mais mon père finalement a pu parler

Je ne l’ai pas interrompu

Il est arrivé un grand drame
Benjamin est mort
Il s’est suicidé
J’ai hurlé

A l’instant de l’annonce
Je n’ai pas maudit Dieu
J’ai dû même réciter
Entre deux sanglots en silence
Dans le creux de ma détresse
Ce n’est pas juste ou quelque chose comme ça

Mon père s’est senti soulagé

Il avait accompli sa mission
Mais avait peur maintenant
Que comme mon frère et selon son expression
Je me foute en l’air à mon tour
Je ne me balancerai pas papa
En tout cas pas sans être vivant

Mon père a rejoint sa femme

j’ai dû monter seul les trois étages qui me séparaient de ma famille
j’ai dû penser au sang versé et à la dernière fois que j’avais fait en sens inverse ce même chemin avec mon frère
j’ai dû penser que cela faisait plus d’un an que je ne l’avais pas revu et que plus jamais je ne le reverrais
j’ai trouvé les escaliers longs


j’ai ouvert la porte
j’ai dit Benjamin est mort
personne sur le coup n’a compris
j’ai répété en pleurant peut-être
mon frère s’est suicidé

et j’ai pleuré encore une fois avec les miens
puis je suis redescendu
je suis allé chercher mon père et sa femme

mon père avait faim
on est allé dans un kebab rue de la grande armée
mon père a pris un sandwich au thon
Puis nous sommes remontés

nous n’avons pas parlé beaucoup
je n’ai pas dû fermer l’œil de la nuit
je ne priais plus
ma colère dorénavant dépassera à jamais mon chagrin

Boris a dit : la kabbale n’est qu’un mauvais cheval, depuis la mort de ton frère, j’ai appris à me régaler de repas d’équidés, Boris n’a pas su finir sa phrase, il avait depuis peu appris à ponctuer….et opta presque malgré lui pour les points de suspension…. oui c’est cela même des raviolis à la viande de cheval, de la kabbale à la petite semaine…. et si on ne supporte pas l’avenir, on se passe la corde autour du cou, on opte comme ça pour la fin du monde, après moi le déluge, on se sacre façon Caligula, Néron ou France inter, on oublie de se souvenir, on délaisse ceux qui nous aiment et oui on se la passe un dimanche soir la corde autour du cou, on hésite une nuit et quand on voit que le lundi il n'y a toujours personne, pour vous plaindre, vous consoler ou simplement tenter de vous faire rire, on s’exécute à la manière des grecs anciens, de façon grande éloquente au milieu de son salon avec de préférence aucun témoin … ton frère Boris disait, c’est une crevure, pour ne pas avoir bu les douze dernières bouteilles de bon bordeaux qu’il possédait c’était forcement un fellaga, et quand bien même quand on met fin à ses jours on prend soin de soi jusqu’au bout, si par bonheur ton frère était devenu salafiste, il aurait pris soin de les jeter ses maudites bouteilles, s’il avait été comme tant d’autres bourgeois il se serait efforcé d'en boire au moins une, on ne fait pas ça de manière clinique c’est odieux non ton frère était un janséniste, il pensait que boire un petit coup tout seul c’était défendu et il n’a rien bu et il s’est passé tout seul la corde au coup et il est mort…. comme un con je suis méchant mais c’est comme ça que cela c’est passé il se répétait après moi d’autres buteront mes bouteilles …. Quel con …. j’ai laissé longtemps Boris parler…. mon frère était mort…. cela ne changerait rien …. je n’aimais pas les points de suspension, j’avais depuis quelques années quitté la poésie …