Ian MONK (1960-2025) par Frédéric Forte

Les Célébrations

Ian MONK (1960-2025) par Frédéric Forte

Il y a 20 ans à Lille, Ian Monk avait créé, avec la complicité d’Arnaud Mirland et quelques amis, un groupe de rock qui portait sur scène les poèmes de son livre Plouk Town[1] et avait pour nom Ian Monk & The Outsiders[2]. À bien y réfléchir, on ne pourrait trouver mot plus juste que cet outsider, importé de l’anglais dans notre langue, pour définir l’homme et le poète.

« Celui qui vient de l’extérieur », du Londres punk de 1977 plus exactement (« anarchiste anglais de la pire espèce » disait une de ses ex-belle-mères), mais aussi de la fac de Bristol où il a étudié les Lettres classiques, s’installe en France à la fin des années 80, gagne d’abord sa vie en donnant des cours d’anglais[3] et se met à traduire passionnément La disparition de Georges Perec, jusqu’au jour où il apprend qu’une autre version va en être publiée[4]. A vanishing reste à ce jour inédit, mais l’exploit littéraire lui fait rencontrer Harry Mathews, membre américain de l’Ouvroir de Littérature Potentielle, à qui il donne un coup de main pour l’édition d’Oulipo compendium[5] et qui l’introduit au groupe la même année. Ian Monk en devient le seul membre actif britannique[6], inventant au fil des ans un grand nombre de formes poétiques (notamment la monquine, la quenoum, la nonine (avec Michèle Audin) ou tout récemment la julienne…)  et, très décisivement, se mettant à écrire en français.

 

L’outsider Ian Monk, la poésie française ne l’attendait pas. Lorsqu’il déboule dans les librairies en 2007, Plouk Town fait l’effet d’une petite bombe (plus de 2000 exemplaires vendus à ce jour[7]). Le poète y déploie, à travers une construction formelle élaborée, une langue crue, un vers prosaïque qui décrivent sans fard le quotidien infraordinaire / touchant / sordide du quartier populaire lillois où il vécut plusieurs années.

Ian Monk citait volontiers Beckett expliquant qu’il s’était donné, en choisissant le français comme langue d’expression, « une chance d’être plus pauvre ». Et l’on retrouve, en effet, dans la poésie monkienne en français, l’usage assumé d’un registre bas, populaire, une langue volontairement incorrecte, parfois fautive, une économie de moyens, qui tranchent avec celle de poètes anglophones qu’il admirait néanmoins (de Shakespeare à William Carlos Williams en passant par T.S. Eliot ou Walt Whitman). Son compagnonnage avec l’Oulipo l’amène à explorer les possibilités formelles de cette langue, mais on y retrouve aussi une proximité certaine avec des poètes vivant alors comme lui dans le Nord[8] : Lucien Suel, Ivar Ch’Vavar, Charles Pennequin, Dominique Quélen…

Ses lectures publiques, avec ou sans l’Oulipo, dont de nombreux enregistrements témoignent, donnent à entendre une voix inimitable, au français fortement teinté d’accent anglais, projetée avec l’énergie et l’effronterie de ses idoles punks (comme Mark E. Smith, leader de The Fall, groupe qu’il adorait).

Au fil de ses livres[9], il développe ce qu’il aimait à définir comme son « style », fait le plus souvent de vers aux mots comptés, empreints d’un humour provocant et désespéré, d’un humanisme noir, regard aigu et lucide sur le monde et sur l’état du poète dans ce monde.

 

Ian Monk, auteur véritablement unique dans le champ de la poésie française contemporaine, a écrit jusqu’au bout. Et ces dernières années, particulièrement influencé par la pratique poétique quotidienne de son ami Jacques Jouet, il composait ce qu’il nommait des « juliennes », poèmes précisément datés selon le jour julien[10] (transposé en nombre de mots par vers), constituant en quelque sorte le journal intime d’un poète et de la forme qu’il explore.

Il est temps de lui laisser la parole avec cet extrait d’Une année julienne, première année inédite de ces poèmes :

 

140)

 

Me voilà

à cet instant fatal

les pieds posés sur le plongeoir

 

la piscine

olympique de l’

avenir devant moi

.

pas de vagues

perceptibles pas de bébés nageurs non plus en

train de chier dans la flotte de mes rêves

calmos quoi

 

 

 

 



[1] Ian Monk, Plouk Town, Cambourakis, 2007 (réédité au format poche en 2011).

[2] https://ianmonktheoutsiders.bandcamp.com

[3] Avant de devenir ensuite pleinement traducteur, de marketing (pour raisons alimentaires), et plus notablement d’auteur.e.s comme Georges Perec, Jacques Roubaud, Raymond Roussel, Marie Darrieussecq, Camille Laurens, Daniel Pennac…

[4] Georges Perec, A void, traduit par Gilbert Adair, Harvill Press, 1994.

[5] Oulipo Compendium, Atlas Press, Londres, 1998.

[6] Le pataphysicien Stanley Chapman en demeurant un correspondant lointain.

[7] On sait que le nombre de ventes d’un livre ne dit pas forcément grand chose de son contenu, mais dans le champ très confidentiel (commercialement parlant) de la poésie française du début des années 2000, le succès relatif de Plouk Town est notable.

[8] Certains on parlé, par plaisanterie, plus pour témoigner de ce lien amical que d’une esthétique strictement commune, d’« école de Lille » à laquelle on a pu aussi associer des auteur.e.s tels que Fanny Chiarello, Ludovic Degroote, Carole Fives, Cécile Richard, Patrice Robin, Patrick Varetz…

[9] Parmi lesquels Stoned at Bourges, les mille univers, 2006 ; 14x14, L’âne qui butine, 2013 ; , Cambourakis, 2014 ; Vers de l’infini, Cambourakis, 2017, Aujourd’hui le soleil, Les Venterniers, 2019 ; PQR, éd. Isabelle Sauvage, 2021. Auxquels on peut ajouter ceux écrits en anglais : Family Archæology, Make Now Press, 2004 ; Writings for the Oulipo, Make Now Press, 2015 ; We Did Everything, Make Now Press, 2024 ; voire dans les deux langues : N/S, éd. de l’Attente, 2004 (co-écrit avec l’auteur de ces lignes).

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jour_julien