Voltairine de CLEYRE (1866-1912) par Claude Minière
- Partager sur :
- Partager sur Facebook
- Épingler sur Pinterest
À la fin du dix-neuvième siècle, une jeune libertaire américaine demandait : « Y a-t-il plus fier et libre que nous ? » La liberté est un sentiment, une fierté. Si l’on est né libre, le tout est de ne pas perdre cette liberté. Voltairine a dû conquérir sa liberté économique, sexuelle, morale mais elle était née libre et écrira poèmes et libelles. Elle écrira : « Je ne sais pas, je sais seulement ceci, je suis née pour ça, pour le vivre chaque heure, pour en faire le tour, pour le fredonner, pour avec ça maudire et j’en rirais. »
Voltairine — quel nom ! Il lui fut donné par son père libre-penseur né à Lille puis immigré aux États-Unis — combattait la police qui réprimait les manifestations ouvrières de Chicago en mai, et s’insurgera (comme le Voltaire de l’affaire Calas) contre un procès fabriqué qui envoyait à la pendaison huit anarchistes.
Elle tenait des conférences, écrivait des pamphlets. Écrivait des poèmes. Voltairine n’est point une idéaliste bornée, elle porte sur l’Histoire un regard de grande lucidité et connaît, intimement, personnellement, ce qu’elle nomme sa machine à penser : « Cette dernière ne se satisfait pas de répétitions ancestrales, elle perçoit que de nouvelles circonstances appellent de nouvelles missions, que les choses ont changé, et qu’une réponse qui convenait à une question posée il y a quatre cents, deux cents, voire cent ans, ne vaut plus aujourd’hui. Elle veut quelque chose pour maintenant. ». Je souligne : la machine à penser veut quelque chose pour maintenant.
Les éditions Payot ont publié un beau petit livre, sous le titre de Y a-t-il plus fier et libre que nous ?, une sélection d’écrits de Voltairine de Cleyre, établie, traduite et préfacée par Léa Gauthier. . On y apprend que, sous le poids des souffrances physiques, la jeune femme a un jour songé au suicide et confié alors dans une note son ultime requête : « Si mes camarades veulent faire quelque chose pour ma mémoire, qu’ils publient mes poèmes »
Le poème vieillit mal avec l’éloquence. Or, de Cleyre, c'est l’éloquence passionnée : « Alors que le crime est omniprésent dans votre ville, que la concurrence a fait chuter le prix de la prostitution à tel point qu’il est comparable à celui du salaire de nos ouvriers affamés du textile ; alors que les voleurs sont à la tête de l’État, au Sénat et à la Chambre des représentants, que les ‘remparts de nos liberté’ ---les succursales électorales---sont devenus des casinos dans lesquels de gros joueurs parient nos libertés ». J’aimerais qu’elle en rît, mais la machine à penser...