Lucrèce, l'épidémie par Claude Minière

Les Incitations

17 mars
2021

Lucrèce, l'épidémie par Claude Minière

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C’est la mort du poète (à 44 ans ?) qui a fait que le De rerum natura  s’interrompt avec le Livre IV, lequel décrira les effets de la peste à Athènes.  « Ni la religion, ni les puissances divines ne pesaient guère en un tel moment ; la douleur présente était bien plus forte. »

À la suite d’Epicure (il reprend ses idées), Lucrèce développe une explication rationnelle des phénomènes naturels, dégagée des superstitions.  À la suite de Thucydide (il reprend ses formulations), il déploiera un tableau des mœurs en temps d’épidémie.  « C’étaient partout des funérailles, sans cortège et désolées, qui se pressaient.  Et nul traitement précis pour assurer la guérison commune : tel remède qui avait permis à l’un de continuer à respirer les souffles vivifiants de l’air, à contempler les espaces célestes, hâtait la fin des autres et les vouait à la mort ». Le drame qui conduit le texte du Latin est donc cette cohabitation impossible de l’explication naturelle des phénomènes ---toutes les épidémies sont dues à des « différences de l’air » entre les « quatre régions du ciel » --- et de l’absence de conduite efficace parmi les humains.  « Ceux qui évitaient soigneusement de visiter leurs parents malades étaient bientôt punis de cet amour excessif de la vie, de cette crainte de la mort, par une mort honteuse et misérable, et périssaient abandonnés, privés de secours, victimes à leur tour. »  Et plus encore, la folie, le désordre s’emparent de la population entière. « Mainte horreur s’accomplit, que la nécessité de l’heure et la pauvreté conseillèrent.  Et l’on en vit qui, sur des bûchers dressés par d’autres, plaçaient à grands cris les corps de leurs proches, et en approchaient la torche enflammée, soutenant des luttes sanglantes plutôt que d’abandonner leurs cadavres. »

L’écriture poétique n’a pas à aller chercher très loin.  Elle relève de simples évidences.  Le seul art est de sélectionner (Dante exemplaire : je traverse, je purge), selon les circonstances.

Mais encore faut-il qu’il y ait des lecteurs, des lectrices.  En 1997, pour titre de mon recueil paru chez Flammarion, j’avais donné « Lucrèce ».  J’apportais de multiples façons les preuves de ce qui s’étend sur le peuple.  Aucun critique ne s’en est avisé.  L’humain manigance toujours son divertissement, itus et reditus.

 

* traduction du latin par Alfred Ernout, édition bilingue Les belles Lettres, 1985.À