Vœux par Claude Minière

Les Incitations

30 déc.
2020

Vœux par Claude Minière

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     J’aimerais pour l’année nouvelle une autre critique : prendre le poème sans prolégomènes, sans préparation, sans refaire des histoires.  « Bloc chu », il avait raison Mallarmé.  De nombreux critiques réguliers amènent  le poème sous leurs lumières ;  ils ne lui font pas face.  Ils ont sans doute oublié que le poème est inattendu, une effraction, sans justification aucune, et sans assimilation possible.  Nous avons peut-être tous oublié, cultivés que nous sommes.  Non, le poème est pendant, à-demi « chu », échu.  La réaction le plus sincère serait de qui avoue : « je ne comprends pas ».  Et déjà l’auteur lui-même, s’il se dit quelque chose, se dit ça.  Je crois qu’il y a sur ce point un contresens persistant à l’égard de Rimbaud, de sa Saison en enfer, prise au pied de la lettre rétrospective : sous le couvert d’une condamnation d’erreurs passées, Une saison est, de fait, un manifeste, livré aux rythmes instinctifs.

      La liste serait longue des approches biaisées, je ne mentionnerai qu’un exemple : les Cantos de Pound sont expliqués comme « montage », or il s’agit de chutes (une avalanche) qui tiennent par miracle (musical).  La réception de l’œuvre sera si négative qu’Ezra lui-même en viendra à croire qu’il a « tout bousillé ».

      Si je prolongeais, je reviendrais sur Claudel : il expédie les expédients, dans sa décision de ne se point laisser arrêter par les obstacles.  Il compose beaucoup moins qu’on a voulu le dire.  Il bouscule le scandale de la sensation d’un manque.

Qu’est-ce que nous trouverons pour Te saluer ?

                   La palme ou l’olive s’il y en a,
Mais s’il n’y en a pas un peu de buis tout simplement et
Ce qu’il y a de plus coriace dans notre jardin. »
                                                   « Le jour des rameaux », 1916)

Après l’attaque sèche de la strophe (on observe que Claudel  n’écrit pas « Que trouverons-nous ») le poète laisse son poème lui échapper, il lui laisse la bride sur le cou, il est excessif, car se prolonge le sentiment qu’« il n’y a pas ». Le poème se fait avec les moyens du bord.

Quand il préface le recueil de ses Psaumes (Claudel, n’est-ce pas, répond les psaumes), le poète note :

   « Ce n’est pas beau !  J’ai relu tout ce tas de psaumes que j’ai gribouillés depuis trois ans ou quatre ans, et non, sacrebleu, ce n’est pas beau ! »

   Ce qui n’est pas beau est intouchable.  J’ai lu Claudel grâce à mon professeur de l’Ecole normale d’instituteurs de Paris, Georges Hyvernaud. Un homme et écrivain admirable.  Il faut savoir saluer.

     J’aimerais pour l’année nouvelle une critique où l’on ne trouve pas traces de ressentiment.