WINTER IS COMING 6 par Jean-Yves Bochet

Les Incitations

27 sept.
2022

WINTER IS COMING 6 par Jean-Yves Bochet

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LE TEMPS ET RIEN D’AUTRE

 

 

Si l’on excepte quelques ouvrages qui, depuis le 16ème siècle, ont tenté d’imaginer et de représenter le futur, la première véritable excursion littéraire temporelle, nous est proposée en 1895 par H.G. Wells dans The Time Machine, autrement dit La Machine à explorer le temps.
Ce premier livre de l’auteur, chef d’œuvre de la science-fiction, est avant tout un roman politique. Wells, de sensibilité plutôt socialiste, montre, dans La Machine à explorer le temps, la société anglaise du 800ème siècle, vivant sous un régime dictatorial et esclavagiste, assez semblable à celui décrit par Fritz Lang dans Métropolis, trente ans plus tard. Dans un grand nombre de romans qui suivent ce premier essai, sa vision de l’avenir est beaucoup plus dystopique qu’utopique.
Ce n’est pas encore « no future », mais c’est déjà « black and sad »

Depuis, de très nombreux écrivains ont décidé d’embarquer leurs lecteurs dans un voyage dans le temps : à l’aide d’une machine ou en passant à travers un portail, voire une faille temporelle, en rêvant parfois aussi, et le plus souvent dans le passé, mais rarement avec un regard critique ou politique sur la période historique qu’ils décrivent.
Le cinéma s’est emparé de La Machine à explorer le temps par trois fois, mais en privilégiant l’aventure au détriment de la critique sociétale.
Le roman de Wells est aussi l’une des œuvres littéraires de référence du Steampunk.
Au début des années 80, quelques écrivains anglo-saxons de science-fiction, fantasy et fantastique comme Tim Powers, James Blaylock et K.W. Jeter ont inventé ce terme pour désigner l’univers dans lequel se situait la plupart de leurs ouvrages (comme une réponse au « cyberpunk » qui décrivait des sociétés dans un futur proche où rock et technologie faisaient bon ménage). Le Steampunk est un genre littéraire (devenu depuis plus largement artistique), situé dans une uchronie qui ressemble à l’époque victorienne de la fin du XIXème siècle, et qui revisite les décors, les personnages réels ou littéraires, les expériences scientifiques et industrielles de la période, avec comme symbole essentiel de cet univers : la machine à vapeur. Steampunk a été traduit par l’expression « futur à vapeur »
Un critique de l’époque l’a fort bien défini comme étant « de la science-fiction avec des boulons ».

Dans Les Voies d’Anubis de Tim Powers, (peut-être le premier roman steampunk, avec Homunculus de James Blaylock), le héros, spécialiste californien de la poésie romantique anglaise, est transporté via une faille temporelle dans le Londres de 1810, sorte d’univers parallèle dans lequel loups-garous et sorciers égyptiens mènent la danse. Le voyage temporel est très souvent utilisé dans le genre : il permet d’investir facilement des mondes plus anciens ou parallèles sous le couvert d’une uchronie ; et le personnage de Herbert Georges Wells est présent dans de nombreux romans steampunk. Stephen Baxter, grand écrivain anglais de science-fiction a même imaginé une suite à La Machine à explorer le temps dans un beau roman, d’ailleurs adoubé par les héritiers de Wells : Les Vaisseaux du temps.
Pour en finir, provisoirement peut-être, avec le courant steampunk, il faut tout d’abord signaler qu’en dehors des anglo-saxons, plusieurs écrivains français ont produit quelques beaux romans appartenant au genre. Fabrice Colin et Mathieu Gaborit ont ouvert le bal en 1999 avec Confessions d’un automate mangeur d’opium. Peu après la création du vocable steampunk de nombreux critiques ont recherché dans l’histoire de la littérature de l’imaginaire, les ouvrages antérieurs que l’on pourrait rattacher à ce nouveau genre. Certains livres de Jules Verne, H.G. Wells, Brian Aldiss , Mark Twain, Jack Finney, Michael Moorcock ou Mary Shelley ont été étiquetés comme « proto-steampunk ». Mais il y a un ouvrage qui n’est pas souvent cité et qui pourtant en est un parfait exemple. C’est le magnifique recueil de nouvelles de l’écrivain anglais Keith Roberts : Pavane, paru en 1968.

Dans son livre l’auteur imagine qu’en 1588, la reine Elisabeth 1ère est assassinée, et que le pape, espagnol, siège à Londres. Dans les campagnes la révolte gronde, par le biais de la science qui maîtrise l’électricité et la machine à vapeur, nouvelle forme de sorcellerie qui inquiète le pouvoir.
Uchronie et machine à vapeur, tout est déjà là, dans cet ouvrage qui est à la fois l’acte de naissance du steampunk et l’un de ses plus beaux fleurons.
Le voyage dans le temps est la thématique principale ou partielle de plus d’une centaine de séries.
On peut en évoquer ici quelques-unes qui, par leurs qualités, leur approche du sujet et l’originalité du traitement, ou tout simplement leur pouvoir attractif, méritent d’être regardées.
En 1963, débute à la BBC, le premier épisode de ce qui va devenir la plus longue série de science-fiction : « Doctor Who ». Institution britannique, elle connaîtra tout d’abord 26 saisons et 695 épisodes entre 1963 et 1989, puis reprendra après un arrêt de presque vingt ans en 2005 pour atteindre aujourd’hui les 877 épisodes. Le Docteur est un extraterrestre qui a pris forme humaine et qui se promène à travers le temps et l’espace dans son vaisseau spatial en forme de cabine téléphonique. Voilà pour le synopsis. Au début de la série, il voyageait essentiellement dans le passé, ce qui a permis aux créateurs d’inventer quelques rencontres historiques mais il y a longtemps qu’il ne traverse plus que l’espace pour lutter contre de méchants envahisseurs.

À la télévision américaine, le voyage commence véritablement en 1966 avec Au Cœur du temps (The Time Tunnel). Créée par Irvin Allen, (un patron de presse, producteur, scénariste et réalisateur devenu une légende après avoir produit les séries Voyage au fond des mers  et Perdus dans l’espace), Au Cœur du temps suit les aventures de deux scientifiques responsables de l’élaboration secrète d’une machine à explorer le temps, le chronogyre. Un dysfonctionnement de la machine les empêche de revenir à leur époque et durant trente épisodes, ils s‘échouent dans le temps, du Titanic à la Révolution Française, en passant par le Moyen Age anglais. La série, qui a été conçue avec d’assez gros moyens, se veut purement divertissante, aussi n’y est-il jamais question de paradoxe temporel ni d’une quelconque analyse politique d’une époque que les voyageurs visitent.
Suivie au début par un grand nombre de téléspectateurs, le premier épisode étant assez impressionnant, la série perdit peu à peu toute son audience, car les histoires se répétaient en s’appauvrissant, et s’arrêta au bout de 30 épisodes en 1967.
Vingt ans plus tard, en 1989, Donald Bellisario, producteur heureux de séries comme Les Têtes brûlées, Battlestar Galactica (l’ancienne, de 1978) ou Magnum, propose à un showrunner de créer une série sur le voyage dans le temps. Ce sera Code quantum (Quantum Leap) qui, sur la chaîne NBC, connaîtra 95 épisodes et 5 saisons avant d’être annulée, sans avoir de fin, en 1993.
Samuel Beckett (Scott Bakula) est un physicien génial qui, voulant prouver que le voyage dans le temps est possible, tente l’expérience lui-même. Malheureusement la machine s’emballe et il se retrouve ballotté dans le temps de la première moitié du vingtième siècle, réincarné à chaque épisode dans un nouveau personnage, tentant de remédier aux erreurs du passé, et aidé en cela par Al (Dean Stockwell), un contre-amiral qui n’apparaît qu’à Beckett, sous forme d’hologramme. Cette série, devenue culte, est sous plusieurs aspects, remarquable.

Les scénarii, souvent prétextes à un retour dans certains lieux et époques de l’histoire américaine, sont toujours très bien construits, s’appropriant avec beaucoup d’humour et de sensibilité la Grande Histoire, et usant avec de multiples précautions des paradoxes temporels. Code quantum fait référence, dans de nombreux épisodes, au cinéma, citant Frank Capra ou Elia Kazan ; à la littérature, avec Stephen King, Jack Kerouac ou Raymond Chandler et même aux séries, lorsqu’un épisode fait un clin d’œil à Twin Peaks.
C’est un bel hommage, non dénué d’ambiguïtés, à l’histoire américaine du vingtième siècle, que rend Donald Bellisario avec Code quantum. Aux dernières nouvelles, le premier épisode d’un reboot de Code quantum vient d’être diffusé sur NBC, le 19 Septembre. 30 ans après la disparition de Sam Beckett dans l’espace-temps, Ben Song (Raymond Lee) relance le projet et tout recommence.
Entre 2006 et 2010, la BBC diffusa deux séries : Life on Mars et Ashes to ashes, (titres empruntés à David Bowie ). Life on Mars, créée en 2006, eut deux saisons et 16 épisodes. Sam Tyler (John Simm) est un flic de 2006, à Manchester, qui, après s’être fait renverser par une voiture, se réveille en 1973. Devenu inspecteur, il va enquêter dans un commissariat, sans smartphone et sans ordinateur, sous les ordres de Gene Hunt (Philip Glenister), un flic de la vieille école, macho, brutal et « borderline ». Simm et Glenister s’en donnent à cœur joie, c’est souvent drôle, les épisodes ne sont pas de qualité égale mais l’ensemble est très plaisant. Il y eut deux adaptations de cette série, l’une américaine avec Harvey Keitel dans le rôle de Gene Hunt, qui fut arrêtée au bout d’une saison, sans doute à cause de sa médiocrité, l’autre étant une série (ou drama) coréenne que je ne connais pas.
Entre 2008 et 2010, Ashes to ashes, suite de Life on Mars, connut trois saisons et 24 épisodes.
Alex Drake (Keeley Hawes), profileuse criminelle, tombée dans le coma après s’être fait tirer dessus, est projetée dans le Londres de 1981 et retrouve Gene Hunt et sa bande de flics. Le ton de la série est peut-être un peu plus noir que celui de la précédente, surtout quand, paradoxe temporel oblige, Alex essaie d’empêcher la mort brutale de ses parents, et il n’y avait sans doute pas besoin de 24 épisodes pour boucler l’histoire mais cela reste de la très bonne télévision anglaise, avec de surcroît, Bowie en fond sonore. Que demander de plus ?

Depuis 2014, les Américains (et le monde entier) suivent les aventures de Claire Randall et Jamie Fraser. Adapté des best-sellers de Diana Gabaldon, Outlander est l’histoire d’une infirmière qui, en 1945, par le biais d’un site magique ressemblant à Stonehenge, est transportée dans l’Écosse du 18ème siècle. Elle tombe amoureuse d’un rebelle écossais et tous les deux vivront de grandes aventures, allant même jusqu’en Amérique pour y préparer la révolution. Résumé très succinct de déjà six saisons pleines de grands sentiments et d’immenses tragédies, mais on se laisse facilement emporter dans cet univers de roman à l’eau de rose, grâce à une production très soignée, une vision féministe de l’aventure suffisamment rare pour être remarquée et un mélange assez réussi entre sexe et violence.
En 2017, H.G. Wells devient le héros d’une série créée par Kevin Williamson (le scénariste de Scream), qui n’eut qu’une saison de 12 épisodes, faute de succès : Time after Time. C’est l’adaptation d’un roman de Karl Alexander qui avait déjà fait l’objet d’un film en 1979 : C’était demain. Fin 19ème à Londres, Wells a inventé une machine à explorer le temps et la présente à un cercle d’amis, parmi lesquels s’est glissé John Stevenson, qui n’est autre que Jack l’éventreur, et qui, pour échapper à la police, se sert de la machine pour aller dans le futur. Wells part à sa recherche. Une série qui se regarde agréablement mais on peut lui préférer le film.

En France, on peut signaler trois séries très récentes, ayant pour thématique essentielle le voyage temporel : Romance, Plan B (adaptation d’une série québécoise) et surtout Les Sept vies de Léa, une série de 2022, diffusée par Netflix. Léa, adolescente un peu seule, découvre, un beau jour d’été dans les gorges du Verdon, le cadavre d’Ismaël, un adolescent mort trente ans plus tôt. Sept nuits durant, elle va se réincarner (un peu par l’opération du Saint-Esprit, mais c’est une licence poétique), dans un personnage différent, proche d’Ismaël (jusqu’au jeune homme lui-même), pour tenter de résoudre l’énigme de sa mort et finalement de l’empêcher.
Cette belle idée évite les répétitions à la manière d'Un jour sans fin dans lequel le héros revit toujours la même journée, et le choix de la réalisation de filmer alternativement un personnage dans son état normal et son incarnation par Léa permet à tous les jeunes comédiens d’exprimer leur talent. Située dans les paysages lumineux qui entourent Sisteron et les gorges du Verdon, Les Sept vies de Léa réserve également au téléspectateur une surprise finale, en montrant que la morale est toujours l’esclave du paradoxe temporel.

En 2017 a débuté sur Netflix une série allemande concoctée par Baran bo Odar et Jantje Friese, qui aura 3 saisons et 26 épisodes : Dark.
Dans une petite ville allemande, en 2019, près d’une centrale nucléaire, un enfant disparaît. C’est le fils d’un policier dont le frère a déjà disparu, sans qu’on le retrouve jamais, 33 ans auparavant. Ces drames affectent profondément quatre familles, tandis que dans une autre, Jonas tente de comprendre pourquoi son père s’est suicidé. C’est en se projetant dans le passé, à différentes époques, par le biais d’une grotte jouxtant la centrale, que les protagonistes de l’histoire vont révéler les secrets de cette ville, jouer avec les paradoxes temporels, démontrer que le temps est circulaire et risquer l’apocalypse. C’est un casse-tête temporel incompréhensible par quiconque ne connaît pas toutes les subtilités du Boson de Higgs.
Il faut pourtant se laisser emporter dans cette aventure fascinante, poétique, tragique, bouleversante, même si parfois on est un peu perdu dans les multiples temporalités de l’histoire, car regarder cette série originale, audacieuse et intelligente est une expérience télévisuelle unique.