Offrande à l’occasion du mariage d’Odile Guichard & d’Hubert Duprat par Pierre Montebello

Les Incitations

10 juin
2025

Offrande à l’occasion du mariage d’Odile Guichard & d’Hubert Duprat par Pierre Montebello

 

 

 

Chère Odile, cher Hubert

 

Voici un livre auquel je tiens et que j’aurais très grand plaisir à voir prendre place dans votre bibliothèque.

J’ai acheté ce livre à Florence en hiver, j’avais 25 ans. Je venais de finir un mémoire sur Georges Canguilhem, j’avais encore en tête son magnifique article sur « L’Homme de Vésale ». En tenant dans mes mains à Florence ce livre de reproduction des planches de la Fabrica de Vésale, attribuées à Jan van Calcar élève du Titien, si ce n’est à Titien lui-même, comment n’y aurais-je pas vu un signe ?

Ce livre s’est en effet révélé être comme le témoin d’un temps qui s’enroule sur lui-même. Car, plus le temps a passé, plus il était devenu évident que le cœur de cet article de Canguilhem sur les planches de la Fabrica  était devenu mon fil d’Ariane. Le grand épistémologue du vivant y interrogeait pour la première fois le sens de l’anthropomorphisme dans son rapport au savoir, non plus pour en faire la figure vieillie, dépassée, usée d’une connaissance qui n’aurait pas encore atteint sa maturité moderne -laquelle consisterait à refuser tout anthropomorphisme-, mais au contraire le germe d’un nouveau regard qui transformera l’homme en miroir de toutes les formes de la vie, ou comme le dira Pic de la Mirandole, en foyer « des germes de la vie sous toutes les formes ».

Tandis que l’astrologie de Copernic, avec son héliocentrisme, contribuait à installer l’idée d’une totalité cosmique glaciale et indifférente à tout, les planches de Vésale montraient que la totalité organique de l’homme résonne avec tout, traverse les milieux, les espaces urbains, les autres formes de vie. Canguilhem me révélait un surprenant paradoxe :  au moment où l’avènement de l’univers mort de l’astrologie copernicienne et du physicalisme moderne signait la fin du cosmos avec le refus de tout anthropomorphisme, l’anthropomorphisme vital de l’homme de Vésale, au travers de  sa totalité organique active, voyait maintenant le cosmos passer en lui. C’est dans la forme vivante humaine que le cosmos continuerait de se déployer. Dans les belles planches des écorchés et des squelettes de  La Fabrica, le corps humain deviendrait ainsi le seul document véridique disant la complexion du monde qui se plie et se déplie en lui.

Autant dire, que ce livre fut comme la concrétion de mon  point de départ philosophique. Il m’orienta décisivement vers la philosophie de la vie et de la nature. Je compris que si la cosmologie moderne était née en renonçant au cosmos, une anthropologie étendue pouvait prendre en retour sur elle le cosmos, je veux dire le rapport entre toutes les formes de vie, entre toutes les formes d’être. Un nouveau savoir passerait par cet anthropomorphisme accentué où ce qui est en l’homme n’est jamais étranger à ce qui est dans le monde.

J’ai toujours regardé avec un certain saisissement ces planches où se pressent Florence, la Renaissance, la philosophie, la cosmologie, parce que s’y mêlait aussi mon avenir philosophique incertain, qui insistait dans ces illustrations mêmes.

Le commentaire de sitaudis.fr

Ce texte a été lu par son auteur le 7 juin 2025 à Sauzet (Gard).


Le livre dont il est question est  "The illustrations from the works of Andreas Vesalius of Brussels (1514-1564) with annotations and translations, a discussion of the plates and their background, authorship and influence, and a biographical sketch of Vesalius" par Saunders, J. B. de C. M. (John Bertrand de Cusance Morant) et O'Malley, Charles Donald.