Lents tableaux par Anne Barbusse
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Ce sont de lents tableaux de la campagne japonaise une succession de peintures de natures de plans pleins d’arbres sans ciel aucun des plans très longs sur arbres quelconques d’ailleurs on dit on dirait les arbres sont en train de parler
Ce sont des successions de plans fixes très fixes très longs il faut du temps pour voir parfois ça bouge un peu pour suivre un homme une femme qui marche jamais une voiture juste de la lenteur de la lenteur
Et puis de longs plans d’ouverture de fermeture totalement noirs parfois 10 minutes de noir avec la bande-son les oiseaux les bruits humains les voix les choses déplacées les crépitements de feu au spectateur de voir dans la bande-son noire ce que la bande-image toute noire cache il s’agit alors de voir par le son
Alors on tâche de voir dans le noir l’obscurité-crépuscule ou l’obscurité-aube parfois l’aube se lève durant l’acte de filmer c’est très lent ça mange le monde par le bas ça dévide les jours et les nuits on apprend à (voir décrypter le noir)
Parfois la succession de plans fixes devient succession de photos prises dans un album les photos on les commente elles sont entourées de blanc bien positionnées à leur place de photos de temps figé nostalgique qu’on déplore avec des paroles très douces celles des anciens
Bien sûr il n’y a pas d’action juste de l’avant-action ou de l’après-action ou alors l’entre-deux-actions ces moments de la vie où l’on passe d’une action à une autre souvent dans le couloir le passage le chemin le juste avant (le départ l’action)
Parfois une voix off de femme lit comme un journal factuel et précis à 8h10 j’ai à 8h30 j’ai etc et tous les menus actes de la vie prendre un seau et vaquer au réel
Cela peut devenir la neige tombant la neige tombée la neige fondant la neige fondue c’est ténu c’est juste une façon de filmer les talus les traces de
Ce peut être aussi un trajet un bus un long trajet en bus du début jusqu’à ce qu’elle demande l’arrêt ou un trajet en train un plan de torrent de montagne boueux puis un plan noir de tunnel et ça recommence
Les radis noirs les oignons les patates les pousses tendres de bambous ce sont les saisons à travers les récoltes c’est totalement anachronique c’est le monde d’avant le capitalisme pur même si elle dit faire les courses au supermarché bien sûr au supermarché
Les souvenirs sont souvent sexistes les hommes disent non partent à la ville étudient les femmes ne disent rien baissent la tête apprennent la couture de kimonos et restent
La bande-son sans musique off juste des oiseaux des grenouilles des bruissements de vent dans les arbres une seule fête et musique in musique triviale mélo disco il est question d’amour et de tromperie bien sûr
C’est bucolique un arbre en fleurs roses c’est réaliste un sanglier embroché dans sa cage-piège les derniers soubresauts des pattes avant la mort au fond d’un plan d’un chemin de forêt la caméra attend patiemment que les personnages disparaissent à l’horizon avant d’arrêter le plan
En contrepoint plusieurs fois un plan osé de jeu de go deux visages en split screan la caméra s‘éloigne en fait c’est un plan de télévision notre héros regarde le jeu très lentement dédouble la vision
Ça passe de l’intérieur à l’extérieur c’est très étrange l’intérieur non pas des lieux/objets entiers mais des morceaux de lieux/objets beaucoup de couloirs plans entre deux portes insert sur boutons ou petites boîtes non pas le réel approfondi mais des morceaux interrogateurs
Camion serres bâches plastique pluie parapluie ainsi se dévide la vie la campagne
La pêche aussi le bain en rivière l’été mais même l’été est sombre presque gris l’été sans lumière forte le film quelque chose de tellement banal que la lumière du cinéma doit se taire juste la stridence des insectes en bande-son et un pont de béton pour conclure brut
Un plan fixe sur un talus effondré on ne sait pas si les plans de coupe sont le sujet principal on ne sait pas lequel est plan de coupe lequel est action pourquoi le glissement de terrain comme du temps intercepté
On sait la pollution hors image les poissons-ayus disparus dans la rivière et ceux du supermarché viennent d’une autre préfecture mais comment filmer le poisson disparu filmer la disparition
On peut aussi parler des livres lus surtout relus ou feuilleter les planches d’un beau livre avec des peintures de chevaux et dire qu’avant les oiseaux entraient dans la maison
Bien sûr ne se passe rien les seules actions du passé les seules actions racontées par la voix des personnages comme dans le théâtre antique l’action en mots (cet épisode de celui piqué par la vipère ou l’histoire du grand-père pendant la guerre)
On dit qu’en voyant Voyage à Tokyo on a réalisé qu’il était triste de vieillir alors d’un coup tout le sujet du film un film sur le vieillissement des campagnes des gens des objets des rituels et Ozu comme la mise en abyme de
Entre chaque partie un haïku un très bref haïku délimitant trois films longueur totale 8 heures et un haïku pour délivrer une autre vision du temps la très brève et la très longue celle des travaux et des jours
Une prière en temps réel c’est donc cela filmer le temps réel en haïku ou en plans longs montage très lent le temps d’une année et un peu plus le temps d’une mort celui de l’époux de rendez-vous médical en analyse et puis la mort
Filmer le temps filmer la mort (de l’époux et de la campagne toute une gageure) quand on était jeune on ne savait pas que la mort était impériale
Clouer un clou sur une planche manier le marteau puis un coup de feu et du vent dans les sapins sombres juste avant la pluie
Non pas filmer l’espace mais filmer le temps défi final filmer la mort mais hors champ la mort juste l’avant juste le temps juste les menus actes mangeurs de temps un Hésiode japonais une épitaphe très lente