Lettre à Jacques Robinet sur par Jean-Pascal Dubost
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Paimpont, le 13 mai 2025
Cher Jacques,
C’est avec une émotion particulière que je vous écris cette lettre, puisque vous n’êtes plus de ce monde, la lirez-vous demeurant un mystère et peut-être un secret espoir. Mais avec un livre comme celui-ci, quelque chose, puisque ce n’est votre corps, quelque chose d’inorganique demeure en vie ; est-ce l’âme ? L’âme des écrivains ne se manifeste-t-elle pas dans leurs livres sitôt après leur mort ? Ne se construit-elle pas dans l’œuvre infinie et grâce au lectorat posthume ? L’âme, ce mot si vide et si plein. Si mes lettres s’adressent essentiellement aux auteurs d’un livre de poèmes, elles s’adressent, par conséquent, à des poètes, or votre livre, s’il n’est pas un livre de poèmes stricto sensu et formellement, mais de notes, il est celui d’un poète (vous êtes par ailleurs auteur de livres de poèmes*) ; c’est une évidence que je ne saurais me contester même si, je le reconnais, je ne saurais qu’imprécisément définir en quoi ces notes (en prose donc) sont celles d’un poète, outre l’argument (qui serait un peu trop aisé d’affirmer comme irréfutable), que ces notes ont l’allure et le maintien, sinon la grâce et l’allant d’une certaine façon de poèmes en prose appliquant à la vie de l’esprit et de l’âme ce que Baudelaire appliquait lui à la description de la vie moderne : « une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience », cherchant une musicale harmonie avec la mort, celle qui inquiète chacune de vos lignes ; harmonie vous menant vers un repos en paix (c’est le vœu qu’on peut formuler). Comment en effet, malgré l’omniprésence de l’inquiétude de la mort, ne pas être émerveillé (osons le mot !), par vos phrases qui, quoiqu’elles vacillent quelquefois souvent, jamais ne rompent.
Le cancer est là, qui agit malséamment dans votre corps, qu’il envahit, gagnant l’esprit, agitant le ronge intérieur que vous libérez dans vos pages de carnet. En ces pages d’une rare intensité de vivre, vous « amassez des secondes éblouies » issues des choses observées quotidiennement (entendues, mêmement), infimes souventes fois captées au cœur de la nature ; le vent, la pluie, les arbres, l’hiver, les chemins empruntés lors de vos promenades avec votre compagnon, mais aussi votre maison et ses pulsations, tout semble vous éblouir parce que la pensée de la mort ne vous quitte pas. Vous doutez de Dieu, mais Dieu vous semble présent en chaque chose, et vous ne saurez ni le nier ni le renier, « Non, je ne te renie pas. Jusqu’à la fin tu seras là. Mais je ne sais plus rien, ni de toi, ni de moi. » Il y a maintes oppositions de pensée dans votre cheminement intellectuel. Jadis prêtre, vous avez quitté le sacerdoce et opté pour les divinités de la psychanalyse pour explorer l’âme, le cœur ou je ne sais quoi des humains, leurs profondeurs abyssales et tourmentées du moins. De ces deux sacerdoces, il semble que vous ayez acquis l’esprit du doute. En ces pages de grande humilité face au vivant, il y a combat contre la mort et lutte pour la vie, résistance contre la mort et acceptation de la vie. La construction de votre livre est évocatrice et repose sur l’oxymore, « L’ombre s’éclaire » » (printemps-été 2022 et 2022) et « Soleil d’hiver » (automne-hiver 2021 et 2022), affrontant la renaissance et le déclin, mais en suivant le déclin des jours menant vers l’hiver. Comme l’écrivait le poète Jean-Baptiste Chassignet, « Plus croissent nos jours, plus décroît notre vie », mais plus décroissent les jours, plus croît la mort, et de cela, haute conscience vous en avez, le consignez dans vos notes. Si Montaigne, qui a si disserté sur la mort, et à qui font penser vos notes, écrivait, « Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait », vous, vous écrivez, dans un moment de splendide lucidité et de sublime désespoir : « Puisse la mort me trouver enivré de vie », en écho à la vaillante décision exprimée dès l’entrée du livre, « Sans plus réfléchir, j’opte pour le bonheur ». L’objectif indécidé par nous et donc incontrôlable de nos vies, c’est la mort, alors comment se défaire « du pensement de la mort » (Montaigne toujours). Ce livre est l’exploration du mourant bien vivant cherchant la lumière en soi, l’écriture en quelque sorte défriche le chemin, éclaircit la voie : « Ne pas écrire pour être lu, mais pour descendre au plus profond silence en moi, qui n’est pas un gouffre angoissant mais un accueil. Il ne s’agit pas de mourir ou de guérir, mais de vivre sans se laisser distraire par le brouhaha de ce monde », loin des vanités du monde (et des vains calculs littéraires). L’écriture, pointant toutes les émotions s’opposant en vous, semble construire un lieu bien connu des croyants : le Purgatoire. Votre livre est un Purgatoire, un lieu exprimant un état d’attente inquiète et d’espoir confiant. On patiente à vos côtés, émerveillé par la force de votre douceur et la fragilité de votre force de vivre.
La beauté et le paradoxe de votre livre, au-delà de votre mort imminente, est qu’il s’évertue à inscrire l’homme là où il n’est plus : dans la chaîne du vivant.
* Auteur entre autres êtes d’une treizaine de livres de poésie, dont : Brèches (L’ail des ours, 2020), Clartés du soir (Unicité, 2022), Le vent souffle où il veut (Unicité, 2024)