Où est Katalin Molnár ? par Thomas Dunoyer de Segonzac

Les Incitations

8 oct.
2025

Où est Katalin Molnár ? par Thomas Dunoyer de Segonzac

 

 

Il s'est passé quoi avec Katalin Molnár? Où sont ses livres, et pourquoi j'ai l'impression qu'ils ne sont toujours pas épuisés trente ans après leur sortie ?

 

J'y pense souvent. J'y pense devant l'école, en me souvenant des écoles, il faut savoir que la voix des professeurs se broie avec le diamant des voix intérieures. Il faut une petite pierre très dure au milieu de la tête, elle est là dans toutes les têtes, elles sont construites autour. Je me demande où j'en suis, et les autres lézards immobiles sous des pieds de régiments de chevaux, avec la lecture de Katalin Molnár.

 

Pourquoi j'entends si peu parler le Katalin Molnár autour de moi ? Je fais des cauchemars, c'est qu'il faut rapidement que je vende des choses et que je ne perde pas mon boulot. Je fais les voix dans ma tête, je filtre à travers le diamant qui broie le langage des professeurs. Le travail : c'était quoi, c'était une violence verbale. Mes collègues font une drôle de tête, je concentre le diamant dans ma tête et ça marche

 

N'est-ce pas parfaitement représentatif de là où plein de gens autour de moi en sont, que personne ne sache vraiment quoi dire avec Katalin Molnár ? Ce matin je parle une langue étrangère, j'essaye de laisser le travail me glisser dessus et je pense à Katalin Molnár. La semaine dernière je me débattais avec le petit milieu méchant et mesquin et je tournais le bouton dans ma tête pour changer de fréquence, je pensais aux livres de Katalin Molnár.

 

Et à force de penser à faire les voix avant de m'endormir pour me donner du courage, je ne sais plus très bien comment faire autrement que broyer tout ce que je peux du langage des pédagos avec le diamant intérieur, et la lecture de Katalin Molnár m'aide à ça, avec pleines d'autres, bien occultées elles aussi Podolski-Pol-Roux, Péret-bistrot, etc.

 

Dans la perspective de réunions infinies demain, c'est-à-dire aujourd'hui, je suis tombé cette nuit dans un rêve. Techniquement je dors à moitié dans ces moments-là où je pense aux livres de Katalin Molnár. Par exemple :

 

poèmesIncorrects et chantsTranscrits

62 pages

Fourbis 1995

 

quant à je (Kantaje)

208 pages

P.O.L 1996

 

Lamour Dieu

176 pages

P.O.L 1999

 

Je me demande vraiment, simplement : il s'est passé quoi ? Je parle des raisons des autres hein.

 

J'ai en réunion très bien en tête la tête de Katalin Molnár en photo. La photo avec les sacs plastiques, elle me reste sur les paupières. Très bien, j'arrive à prendre mon envol. Il faut parler des enfants pour les défendre. Il faut broyer le langage de l'administration comme le langage des professeurs. J'ai la langue de tageultoi de mémoire en contre consultation. Mes voisines de tram de banlieue avec leurs faux cils broient le langage des professeurs, d'ailleurs elles sont en train de sécher et les écouter hurler dans leur téléphones me dissout le travail dans la tête.

 

Le schéma de la voix est un problème grave un développement visuel de la langue. Il suffit de feuilleter un livre de Katalin Molnár pourtant, pour détecter tout de suite l'ampleur du faux mouvement qui fait qu'on s'est beaucoup froissé de muscles depuis. Je ne sais pas pourquoi le début de son livre de 1999 me fait penser à la fin de Simone Barbès ou la Vertu (Treilhou, 1980), à la scène dans la voiture, le moustachu critique qui pleure avec la voix éblouissante de Thill qui diamante.

 

Il ne faut pas rentrer dans les aspects personnels au travail. Quand je relis les livres de Katalin Molnár je me dis, tant de destin piqure pour se sauver de sa famille ascendante, pour essayer de ne pas se laisser la voix sécher dans la bouche, continuer à nager dessous.

 

Disparue en un sens Katalin Molnár, tout bêtement, et sans doute pour ça que ça mord aussi encore, même pas une page Wikipedia, rien, quel contraste avec toutes ces carrières énormes, quelle blague. Cette merveilleuse idée de se dissoudre le nom au milieu, devenir Kite Moi. Je vois bien que c'est un enfant très joyeux monsieur, et surtout j'essaie de lire en réunion : tout le monde a le regard un peu lettre écarlate.

 

Katalin Molnár, le regard intensément ailleurs est une façon de guider les voix. Je commence cette journée dans le rayon chaud du beau regard de l'institution toujours vraie et juste.

 

La culture est une ignoble escroquerie, la peinture de même les livres, le sale travail de la sélection, le triage est infâme, tout repose sur l'absence permanente de diamant dans la tête. Nos rayonnages sont infâmes. D'où la coagulation permanente de petits milieux dans lesquels tout repose en permanence, en permanence en permanence vraiment sur le fait que chacun.e accepte de fermer les yeux sur l'absence permanente de diamant dans la tête de l'autre en face, l'effet durable n'est pas comme l'effet ponctuel stérilisateur. Plutôt les livres Katalin Molnár et ne pas adhérer.

 

Ayant lu, et continuant à lire tant que je peux, je croise des génies tous les matins, broyés ou pas en tout cas le diamant qui diffracte et pulse les langues est là dans la tête.