Rene Ricard, GOD WITH REVOLVER par Thomas Dunoyer de Segonzac
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Le monde du travail est très triste.
C'est un triste lundi de triste vent sur la dalle, et je réfléchis
pendant une pause sauvage
à cette recension-retardateur (au sens militaire de combat retardateur)
d'un fort beau livre paru en 2022.
FORD galaxie jaune '73
Capote noire
Rayure en bas côté conducteur
Plaques New York
Angle 4e rue/2e av.
1er nov. 1981 2h30 du matin
Quels sont les rapports qui s'établissent
entre
les poèmes de GOD WITH REVOLVER
et
l'humiliant balais dansé des tramways le matin autour de Paris,
le goût du café au distributeur,
le chantier du métro en face?
Les feuilles vertes de l'arbuste en bas de notre tour, criardes ne bougent pas du tout de l'autre côté de la fenêtre (qu'est-ce que c'est comme plante ?
Du buis ?
Une sorte de lierre moisi ?
Une maison par contre pour nos oiseaux et nos rongeurs.)
Rene Ricard poésie, rapport.
ET puis j'ai tenté de me mettre à
distance du sujet, mais la
distance n'était qu'un autre
angle sur le même sujet et
le sujet était toujours le même, toi.
Le désespoir est une encre très colorante, qui marque bien
pour la lecture dans la ville où je travaille.
C'est du noir dans les yeux.
Ça bouge, ça en sort le sujet était toujours le même, toi.
New-York quatre-vingt, Aubervilliers, Vitry, Mars, de l'encre noir partout.
Toute la bizarre âpreté des poèmes de Ricard,
c'est un mélange de transparence, de larcins,
de douceur immature, de sordide dans la lumière,
le tout complètement saturé de références littéraires.
Je cherche la constance de l'ennemi
L'amour Ha Ha
Ô, la constance des poètes professionnels, la constance maladive de ce qui est dur, la constance de l'ennemi des préposés ressources humaines et des innombrables couches du gâteau de la police française,
mais aussi la constance
des vers sous contrôle, de la défonce et
d'un préciosité légère comme un veste d'été.
Saviez-vous que Jarry parlait comme un robot ? J'ai lu ça très récemment, ça m'a saisi. Il contrôlait la diction qu'il s'était inventée,
hachée,
monotone (la constance de l'ennemi),
bizarre,
ça a frappé tout le monde, à l'armée comme dans les salons.
Ricard parle sans cesse de ses piaules dévastées et belles,
Jarry vivait comme un loup cervier dans son taudis du boulevard de Port-Royal
à Paris (ne manquez pas de jeter un œil dans le trou de la porte
si vous passez par là, rien n'a bougé là-bas.
Merdes d'oiseaux centenaires. Pas de plaque commémorative.)
Ricard est une sorte de Jarry sans vélo,
moins raide mais plus défoncé,
tout à fait le même rapport à l'argent emprunté sûrement,
et ce rapprochement tombe comme la foudre à la lecture de ce vers (L'amour Ha Ha : cf. DU GRAND SINGE PAPION BOSSE-DE- NAGE, LEQUEL NE SAVAIT DE PAROLE HUMAINE QUE : « HA HA » dans le Faustrol de Jarry).
Un Surmâle part en miettes il y a quarante ans à New-York,
la constance de l'ennemi
avec sa négation d'amour
et sa façon de vivre comme un robot cramé et démolisseur.
Je continue ma lecture désordonnée,
au milieu du chaos de mes camarades enfants et adultes,
au travail.
Trois ans j'ai aimé le même homme
Il m'a quitté
Il essaie d'obtenir mon appartement
Pour s'y installer avec un nouvel amant
J'ai trente-quatre ans et je ne suis pas bien dans ma tête
Tout le monde a peur de ce que je pourrais dire. Moi aussi.
La police elle va sonner chez moi, dis-tu.
Y'a le FBI et INTERSPORT qui vont venir.
Tu veux dire Interpol,
je corrige dans ma tête tout en continuant à lire.
Il y a quelque chose qui se casse la figure dans ce langage,
c'est un château de sable coloré emporté
par une vague froide dérisoire.
C'est une noble manière de faire le vide, Tout le monde a peur.
C'est du papier de verre sur toute la petite scène poétique
radicale-chic, dérisoire, interminable.
Discussion sur la paralysie.
Que personne ne s'inquiète : dans trois mois environ
Je serai à la rue
Sans argent
Une situation adaptée à mon humeur
Quand tu es à la rue
Tu es un fou furieux
Et lui vivra ici
Dans cet appartement exquis et maudit
Recevant mes amis
Pour un dîner ou simplement profiter de la vue
Et je serai un fou furieux
A la rue
Dévoré par la jalousie
Quand tu deviens fou
Tu te vois / Devenir fou
Voilà ma paralysie, regarde.
Je suis bloqué dis-tu. On fait des cauchemars ensembles au travail.
Le rapport d'exploitation : Une situation adaptée à mon humeur.
La peur de la désintégration dans le rêve est partout
au travail, dans la rue.
Sans argent, notre langue figée dans la bouche
ne nous permet pas aisément de parler pour
disperser toute cette croûte de merde sociale.
Tu es un fou furieux discutant au comptoir du PMU du coin,
Le Grand Victorieux,
personne ne se parle mieux que là pour moi,
dans une défonce vaseuse (des bulles, des bulles).
Ici me reviennent ces vers :
L'intérieur du corps tend vers l'extérieur
Et je me presse dans les rues pleines d'hommes
Les cafés pleins d'hommes. Je demande un café à un homme
Des hommes se pressent dans la rue devant les cafés
Marché aux yeux noirs
Ma vie déborde ses limites
Je ne peux pas acheter de nourriture, négocier les rues
ou marchander dans cette vie.
Et plus loin :
et je m'évanouirais dans la boue de Barbès
l'intérieur de mon corps tendant vers l'extérieur
Encore une chose.
J'ai découvert après-coup 1
la peinture de Ricard.
Ah, Peinture, mon amour est sincère
Les peintres sont tellement affreux c'est étonnant qu'ils t'aient
inventée
Elle est salubre et pensive, comme ses poèmes,
elle est aussi tellement lointaine (très bien pour respirer).
Je repense en écrivant ces lignes à ce grandiose Isou
traitant Debord d'éponge fasciste imbibée
d'alcool, ahah,
merveilleux. Aux mots décrochés je repense sans doute aussi,
tout se mélange dans la peinture qui sèche, des mots qui se déplacent
comme des crabes aux pinces petites mains innombrables.
Il faut aller arracher de l'argent
à droite,
à gauche,
car plus rien n'est payé aujourd'hui.
Tu te vois / Devenir fou
la réalité explosée est pleine d'yeux
comme sur les ailes d'un
papillon.