AVIS D'ARTISTE (1) par Richard Monnier

Les Incitations

19 sept.
2025

AVIS D'ARTISTE (1) par Richard Monnier

 

 

 

Une image fixe.

 

 

 

La fondation Glénat établie au couvent Sainte Cécile à Grenoble, expose jusqu'au 27 septembre des gravures de Rembrandt. Il s'agit des eaux-fortes extraites de la collection de la fondation consacrées aux portraits. Parmi les notables, les personnages orientaux, les mendiants, un portrait intitulé "Vieille qui dort" s'impose dans mes souvenirs : le coude gauche appuyé sur un livre ouvert, la tête posée dans le creux de la main, une femme, les yeux clos, semble dormir. Son avant-bras droit dont la main tient encore les lunettes, est allongé sur l'autre partie du livre. Qu'est-ce que j'ai vu dans cette image qui ne me regarde pas ? Les commentaires concernant cette eau-forte précisent : " Dans la tradition artistique, une femme qui dort sur une bible incarnait un des péchés capitaux : la paresse. " À quoi bon troubler le sommeil de cette brave femme avec des problèmes moraux ? Comme si les peines des tâches quotidiennes ajoutées à son âge ne suffisaient pas à expliquer son besoin de repos. Rembrandt, toujours curieux des attitudes des personnes de son entourage, ne pouvait pas manquer cette scène de la vie courante mais les biographes aiment charger de sens les œuvres, par bienveillance sans doute, pour éviter qu'elles soient simplement classées ou déclassées comme "scène de genre". Dans l'inventaire des biens de Rembrandt, cette gravure a d'abord été répertoriée comme " Vieux qui dort" ; c'est vrai qu'aucun détail vestimentaire, aucun trait ne permet de distinguer le genre de cette personne. Quel sens donner alors, à un homme qui dort appuyé sur un livre ouvert ? La "tradition artistique", au service des beaux rôles, y verrait peut-être un Saint Jérôme méditant sur un passage difficile de la bible. Avec quelle facilité peut-on changer le sens d'une image comme on retourne une carte à jouer. Maintenant que l'attitude du personnage a été valorisée, je peux retourner à la " Vieille qui dort " et y voir une vanité : à quoi bon l'accumulation des connaissances quand le royaume de Dieu est promis aux enfants. Finalement, je vois surtout l'inconsistance de toutes ces tentatives d'identifications. Rembrandt nous avait déjà prévenus. Dans ses nombreux autoportraits, il joue tour à tour le rôle d'un bon bourgeois hollandais, puis d'un prince florentin ou d'un artiste canaille, il lui suffisait de changer de chapeau en quelque sorte pour changer d'identité. C'est ce que font les peintres d' Histoire, sans vraiment s'en amuser. Les informations qu'ils vont chercher dans les récits bibliques, dans les chroniques ou dans les archives, deviennent des accessoires dont ils affublent leurs personnages.

Je me souviens que pour un portrait de Saskia malade, j'avais remarqué également qu'aucun signe particulier ne permettait de déterminer le genre de la personne représentée. Il y a peut-être des situations, des moments de vie qui concernent la condition humaine de façon générale où Rembrandt est conduit à dépersonnaliser l'être qu'il représente.

Je reviens à cette gravure qui mesure 5 cm sur 7. Je suis face à face avec un être qui s'est isolé du monde et qui me maintient dans son isolement. En l'observant de plus près encore, je discerne quelques traits verticaux au-dessus de la lèvre supérieure. Ces traits me disent quelque chose, je les vois tous les matins devant ma glace. Je sais de quelles années ils sont la trace. Mais cette reconnaissance est vaine : pendant que je me satisfais de voir dans cette image les signes que je connais déjà, je ne cherche plus à découvrir ce qui lui est propre. 

Ainsi, j'ai beau faire défiler toutes les identifications possibles comme si j'étais devant un écran tactile, cette image reste intacte. Elle insiste. J'avais oublié le sens de l'expression "image fixe", son indifférence aux "flux d'informations", me le rappelle. Je me demande même s'il n'y aurait pas un peu de suffisance dans cette façon d'ignorer le visiteur. Un brin prétentieux, ce bout de papier de 35 cm² qui veut capter l'attention à l'époque des vertigineux spectacles immersifs. Je suis sorti de l'exposition avec cette image en tête, elle ne devrait être qu'une image du sommeil et elle s'impose maintenant dans mes veilles.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

À compter d'aujourd'hui vendredi 19 septembre 2025, Richard Monnier est le premier artiste plasticien à tenir régulièrement une chronique sur Sitaudis.
Nous l'en remercions très chaleureusement.