Abdellatif Laâbi par Aziz Zaâmoune

Les Célébrations

Abdellatif Laâbi par Aziz Zaâmoune

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              Humer Fès à Paris ou Grenade et se tromper de galère

 

    Quoi qu’il dise ou écrive, il ne faut surtout pas le croire et pour cause, un poète, ça ment grave, grave, intrinsèquement ...

À moins que vous ne soyez son complice, et dans ce cas-là on a deux menteurs avérés, faisant œuvre commune.

Aussi, quand Abdellatif Laâbi écrit dans Le spleen de Casablanca qu’il veut « désappartenir » pour une fois, fuir ces lieux d’ici et de là-bas qui l’habitent, en finir avec toute cette comédie - sûrement au sens où l’entend Rimbaud, le saint patron de la confrérie – faut-il le croire pour autant ? Ne nous mène-t-il pas en bateau -avec ou sans haleurs- nous autres, peuplade des quais ?

 

Je convoque à ma transe noire

le peuple majoritaire des éclopés

esprits vaincus

martyrs des passions réprouvées

vierges sacrifiées au moloch de la fécondité

aèdes chassés de la cité

dinosaures aussi doux que des colombes

foudroyés en plein rêve

ermites de tous temps

ayant survécu dans leurs grottes

aux bulldozers de l'histoire.

(Fragments d’une genèse oubliée)

 

L'œuvre et le parcours singuliers d'un poète qui dérange – au point d’en payer le prix fort, huit ans dans les geôles de son pays – ont démarré au milieu des années 60 dans un activisme politique et culturel militant. Le point d’orgue aura été la sortie de son premier recueil L’œil et La Nuit, un livre-manifeste, son texte itinéraire, lequel se poursuivra inexorablement jusqu’à aujourd’hui « dans le bruit d’une ville sans âme ». Et peu importe s’il s’agit de Casablanca ou Paris, puisque l’objectif affiché du poète est d’apprendre d’abord « le dur métier du retour », entendons le dur métier du spleen.

D’où pour lui, à chaque levée d’ancre, à chaque texte, à chaque recueil, un nouveau départ qui ne ressemble à aucun autre, un départ rimbaldien « dans l’affection et le bruit neufs ».

 

Sur le radeau, j'allumerai un cierge

et j'inventerai ma prière

Je laisserai à la vague inspirée

le soin d'ériger son temple

Je revêtirai de ma cape

le premier poisson

qui viendra se frotter à mes rames

J'irai ainsi par nuit et par mer

sans vivres ni mouettes

avec un bout de cierge

et un brin de prière

J'irai ainsi

avec mon visage d'illuminé

et je me dirai

ô moitié d'homme, réjouis-toi

tu vivras si tu ne l'as déjà vécu

un abrégé d'éternité.

(Abrégé d’éternité)

 

Il nous mène en bateau donc, avec pour voiles toutes dehors un peu de bon sens à opposer à ce « monde qui croule sous les apparences », si bien qu’ « il va crever de résignation ». De bon sens, avons-nous dit, certes, mais aussi et surtout un peu et même beaucoup de rêves, de visions et d’insatisfactions fertiles, histoire de humer Fès à Paris ou Grenade et se tromper de galère.

Et pour aboutir à quoi finalement ?

A question bête, réponse tout aussi bête : est-ce que le poète le sait, lui ?

 

De cette feuille

Dite vierge

Que sortira-t-il

Un bouton de seringa

Ou une fleur carnivore?

C’est moi qui tremble.

(Poèmes périssables)

C’est cela même le spleen Laâbi, pour qui veut bien céder à la tentation…

Et, assénerait un Baudelaire exultant, qu’importe le reste  " à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ? " .