Geneviève Desrosiers (1970-1996) par Germain Tramier

Les Célébrations

Geneviève Desrosiers (1970-1996) par Germain Tramier

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            Évidemment je dis nous pour arrêter de dire je.                                                                

            C'est ce que l'on appelle une tentative.

            Il y a aussi des tentatives de meurtres, de viols,                                                                            

            de suicides, d'intimidations.

            En général, cela rime       avec raté.

            Maman, j'ai tâté ma tentative avant de la rater.

 

           

            Un jour Benoît Chaput lit un poème chez l'une de ses connaissances, il s'agit du texte « Nous » de Geneviève Desrosiers ; il est tout de suite frappé par cette aisance langagière, ce funambulisme expressif et ces coups de simplicité au ventre. Il apprend que la poétesse vient de disparaître à 26 ans, contacte la famille, recueille des poèmes, met sur pieds, trois ans après sa mort en 1999 un livre, Nombreux seront nos ennemis.

 

            Au Québec, il existe un mouvement de lecteurs de Geneviève Desrosiers. Des lecteurs qui l'encensent, la comptent parmi le petit cercle des auteurs qu'on rouvre. Ce court recueil, paru il y a bientôt 20 ans, ne cesse en effet d'être réédité, il est de ces livres que l'on se passe sous la manche, d'une oreille à l'autre, de mains familières à mains familières, et dont l'aura ne peut suivre d'autre route qu'une ouverture lente ; livres qui finiront peut-être par compter parmi les incontournables. Si je parle de mouvement des lecteurs de Geneviève Desrosiers, c'est dans le sens d'une dynamique réelle de passeur, paroles basses échangées entre amis. Sans ce continuum, je n'aurais jamais entendu parler d'elle. Si une amie revenue de là-bas ne m'avait offert Nombreux seront nos ennemis.
Ce qui frappe dès le premier poème, c'est le ton personnel, commun familier jeté à son lecteur :

 

« Bienvenue / mon givre d'été, mon hibou sur les toits, mon un et demi, mon char à trois roues, mon abstraction lyrique, ma poésie fangeuse, mon noir éclairé, mon sauvage civilisé, ma croix en forme de cercle, mon patient, mon éternel éphémère ».

 

On sait dès lors que Geneviève Desrosiers sera à la croisée des joueurs et des mélancoliques ; elle aura l'Oulipo et Laforgue dans la lunette, et deux autres grands présents à ses fenêtres : Nelligan et Ducharme. C'est avec des segments simples, amusés, des glissements de sens impromptus, naturellement surréalistes, qu'avancent, que dégringolent ses poèmes comme un beau dégoncement de portes :

 

« Tentons d'être stoïque. Apolitique. Lubrique. Ludique. Magnifique. Idyllique. Apoplexique. Cadavérique. Lyrique et bête. »

 

Elle qui était aussi artiste plasticienne arrange la feuille comme une installation. On tombe devant des vers d'un mot, puis des proses qui éclatent en d'autres vers d'un mot, fragments de dialogues, paroles échangées entre inconnus. Une poésie d'enfance nous est donnée, non pas immature, mais poésie du jeu de mot, qui ne se prive pas de lyrisme, car, n'oublions pas : les enfants sont aussi nostalgiques que les vieillards. On pourrait également évoquer cet art naïf, drôle et triste, drôle car désespéré, d'une enfance qui singe l'âge adulte, comme les adultes ne savent plus singer les trop sérieux adultes ; voici son fameux « Nous » d'où tout part :

 

« (…) Nous donnerons des perles aux cochons, des sous aux pauvres, de l'alcool aux alcooliques, des baisers aux amoureux, de la viande aux chiens, des poissons aux oiseaux et du blé aux assassins. (…) Nous mettrons nos mères et nos pères au champ d'honneur. / Les alchimistes gérontologues feront le pied de grue devant des fenêtres que nous aurons nombreuses et propres. / La musique adoucira nos mœurs terribles et dégradantes. » etc.

 

            Le paradoxe n'est pas en reste : on est libre, poétiquement, de ne pas respecter la raison, et les paradoxes fusent chez elle comme chez Ducharme, qui puisait aux étranges maximes des taoïstes pour qui rien n'est éternellement vrai, sauf peut-être le mouvement :

 

« Entendue par les oreilles du plus sourd. / Mordue par un édenté. Touchée par un parfait manchot. Aimée du vide et couverte d'air. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Aussi atrocement légerte. / Et je souris à n'en plus savoir où mettre mes dents. »

 

            Un art du mouvement qui brise toute logique arrêtée, cet immobilisme qu'elle dit paradoxalement mimer, s'habillent en idées d'autodestruction, de sortie des normes, envie de se projeter soi plus tard sans confort, si ce n'est celui de vagabonder dans la vie qu'on partage :

 

« Nos enfants ne porteront rien, pas même un nom. Ils seront ivres et pauvres, chancelants et inébranlables. Leurs jouets, ce sera nous. »

 

 

            Tension vers le nous, l'alliance, l'échec constant de la tentative, c'est aussi ce qui en fait une poétique faussement nonchalante ; elle le dit merveilleusement, ce sera sa recherche pour échapper à l'ennui des vies confortables, que la sienne n'aura le temps de joindre, la constante multiplication des sois et des autres pour mieux exister :

 

« Nous ne serons pas deux, nous serons mille et constamment de passage. / Calmes comme des récidivistes, agités comme des voleurs, muets comme des assassins. » Et « Nombreux seront nos ennemis. / Tu verras comme nous serons heureux. »