Malcolm de Chazal en fol ingénieur littéraire par Christian Désagulier

Les Célébrations

Malcolm de Chazal en fol ingénieur littéraire par Christian Désagulier

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Mon opinion est nette, c’est que j’étais attendu depuis des siècles, que je devais arriver. Que je devais être l’homme qui a écrit Sens plastique. Que je devais devenir l’homme que je suis devenu, que je n’ai pas pu faire autrement…

(L’ombre d’une île, entretien avec Malcolm de Chazal, Bernard Viollet, éditions L’Ether Vague, 1994)

 

D’abord le Morne Brabant s’impose. Piton volcanique comme il en existe d’autres en forme de lingam à Maurice, les Trois Mamelles, le Mont du Rempart, le Corps de Garde, le Pouce et le Pieter-Both dominant la capitale Port-Louis d’un côté et la plaine de Moka de l’autre, le Piton du Milieu, le Lion et puis le Morne (partant du sud, je suis le sens de l’aiguille solaire sur la Carte Mythique de l’Ile qui ouvre Petrusmok de Malcolm de Chazal..) Le Morne, haute masse noire basaltique plantée dans le sable de corail gris, dont l’accessibilité périlleuse fut pour les esclaves marrons en fuite, providentielle..

 

Après que les portugais à la recherche du prêtre Jean eurent délaissé l’île, une colonie de Hollandais s’installe à leur suite en ce début du XVIIèmesiècle et la nomme Maurice (de Nassau) en mémoire du Prince d’Orange : « .. Il y a du bois d’ébène, de l’ambre gris, des terres propices au tabac et déjà la culture de la canne à sucre importée de Java trouve un sol favorable à son développement.. » (L’île Maurice, des origines à nos jours, Christian Le Comte Editeur, 2007)

 

Maurice, où l’abattage du bois d’ébène et les plantations firent appel aux premiers esclaves, ce « bois d’ébène » importés de Madagascar.. Epuisés les bois noir et les dodos exterminés, l’île n’offrant plus la perspective de profits immédiats et son exploitation demandant des investissements aux rendements financiers sans garantie, les Hollandais investirent alors dans le Cap au climat tempéré – la chaleur ouatée des tropiques n’est pas de tous repos – le Cap où désormais les Hollandais feront relâche d’eau fraîche et de Bonne Espérance, voire..

 

Le Morne Brabant projette son ombre, graphitise la plage. Et voici que la silhouette d’un homme se détache par le flanc gauche et se dirige vers toi.. Voici qu’il se rapproche à longues enjambées, atteint la plage de grains gris et qu’il nous apparaît chapeauté et vêtu du strict costume de Wall Street.. Il quitte l’ombre, affronte les projecteurs fixés au portique invisible de l’île dont le filtre bleu du ciel uniformise la puissance photonique.. L’allure décidée, chaussé de très british Richelieu noires, reluisantes, à bouts fleuris..

 

« Qui va au Cap perd son port », les Français prennent alors possession de ce qu’ils vont nommer l’« Isle de France » et, moins exigeants que les Hollandais, considèrent le rendement financier de l’île acceptable.. Le port est baptisé Port-Louis en l’honneur de Louis XV où les corsaires du roi viendront jeter leurs ancres pour y vendre les marchandises soustraites aux anglais dans l’océan indien.. Cannelle, girofle et muscade, les épices de Monsieur Poivre, le café et le coton, le thé et l’indigo, et parmi toutes, la culture sucrière laquelle tire sa canne du jeu.. Au XVIIIèmesiècle Bernardin de Saint Pierre va faire de l’île un haut lieu littéraire et Paul et Virginie (1788) un précurseur de l’Hypérion d’Hölderlin (1797), l’Amour et la Nature portée au point de fusion du romantisme.. On s’immergera dans les descriptions que Bernardin donne de l’île dans son Voyage en Isle de France où il vécut deux années, comme dans ses Etudes sur la Nature, toujours immensément valides et envoûtantes..

 

« Je suis l’homme des nouveaux temps. Je suis l’homme créé pour lier l’homme, l’univers et dieu. De sorte que disparaissent religions, philosophies, sciences ; toutes les formes de connaissances dispersées et que se représente une seule forme de connaissance : la science-poétique. » (L’ombre d’une île, Malcolm de Chazal, p.18)

 

Un homme foule le sable de la plage dans ses chaussures de tous les jours dimanche et tu penses alors aux plantes des pieds nus des joueurs de volley-ball indiens que tu as regardés jouer dimanche, jour de repos, familles réunies et déjeunant aux cris de joie des enfants sous les filaos. L’homme au chapeau que l’on ne voit jamais que seul, la démarche résolue d’un qui sait où il ne va pas, c’est à dire où il va, à l’Hôtel du Morne.. Il a table ouverte dans ce Grand Hôtel ou bien emporte le repas qu’on lui prépare pour le manger dans les bois moyennant force pourboires et paiement en gouaches qu’il dit être celles de l’enfant qu’il n’a pas cessé d’être.. Les semelles de ses chaussures cousues Goodyear sont percées, le col de sa chemise est élimé et discrètement taché son costume : « Je vis en poète. Je suis le poète qui vit. » (ibid. p.29)

 

A la Révolution l’île résistera : on ne libèrera pas les 88% d’esclaves qu’elle compte quand le Code Napoléon rétablissant l’esclavage va porter les bénéfices commerciaux de l’île à leur acmé.. L’île protégée par la Marine impériale et les corsaires agacent tant les anglais qu’ils la mettent sous blocus, l’attaquent, elle se défend puis rejoint manu militari contre bonne fortune l’Empire britannique en 1810.. Au terme de l’accord de capitulation, rien ne change, sinon que l’île occupée se renomme désormais Maurice, que le Code Napoléon continue de s’appliquer comme l’Esclavage en dépit de son Abolition votée à Londres en 1807 : les planteurs veilleront aux cannes jusqu’en 1833, date de l’application de l’Acte moyennant compensation à millions de livres sterling et obligation faite aux anciens esclaves de continuer à travailler pour leurs maîtres pendant quatre ans..

 

On ne peut pas le confondre, ce costume qui fut sur mesure, élargi au portage, l’immaculée pochette blanche, la chemise à rayures américaines, ce papillon posé sur la glotte et le chapeau en feutre de castor, surtout, surtout ces lunettes à montures noires en forme de loup aux grands gestes à presque pas de lippes et rasé comme glabre : c’est Monsieur Malcolm de Chazal qui passe : « Ne pas penser que l’habit vous vêt, mais penser que c’est nous qui vêtons l’habit. » (Comment devenir un génie ? Chroniques, p.313, éditions Philippe Rey, 2006)

 

L’exploitation de la canne à sucre requérant une main d’œuvre nombreuse, les planteurs de cette île africaine se verront autoriser à recruter en Inde, en Chine, au Mozambique et bien sûr à Madagascar.. A l’esclavage va succéder l’« engagisme », un contrat de travail auquel souscriront massivement les indiens, une variante de l’esclavagisme, la « liberté » de se faire exploiter en sus : esclavagisme, engagisme, la proximité des deux mots n’est pas que phonétique – lequel contrat générant des courants successifs d’immigration va conférer à l’île parmi de nombreux particularismes, un trait significatif hindou dont le référentiel religieux aura les faveurs de Malcolm de Chazal qui s'est toujours considéré comme un avatar..

 

Un avatar de Ganesh au collier de cinquante lettres de l‘alphabet sanskrit, éléphant assis replet à la trompe en forme de point d’interrogation (« Ainsi je garde jusqu’aujourd’hui mon énigme… Car celui ou celle qui se mettrait à l’arrière de moi me capterait tout entier. (Nul n’a vu le DOS DE DIEU », Sens Unique, p.21, L'Éther Vague, 1985) et pas que pour les couleurs cymbales des temples sur le fronton desquels il trouvera un compléments de couleurs à sa palette quand il passera de l’écriture à l’aquarelle..

 

Laquelle hindouité crée la surprise et quelle, chez le nouveau venu quand il se jette malgré lui dans les bras de Shiva qui semble faire la circulation à Port Louis ou bien du stop au bord de la route rectiligne qui, divisant par deux l’immense champ de canne à sucre sis au pied bot du Peter-Both où, n’oublions pas, Malcolm de Chazal voit une montagne sculptée par quelques géants rouges aux temps de la Lémurie révélés par Jules Hermann et dont il raconte la théogonie dans Petrusmok..

 

Un avatar jusque parfois, sinon un apôtre, un prédécesseur de Jésus-Christ comme en témoignent ses innombrables ouvrages aux titres théologiques (Iésou, Aggenèse, Le Pape et la science et la révélation de l'angélisme, La Bible du mal, L'Évangile de l'eau, Judas ou la trahison du prêtre, Pentateuque, L'Espace ou Satan, Moïse) parmi plus de trente ouvrages publiés dans l’île entre 1950 et 1955. Une tournure spirituelle qu’il aura acquise à la fréquentation assidue de l’église swedenborgienne que ses parents et lui fréquentaient et aux cérémonies de laquelle il participa durant ses dix années d’études aux Etats-Unis : « En ce temps-là, je croyais en la religion swedenborgienne. Depuis je l’ai quittée. Et je n’avais jamais eu aucune religion… J’allais chaque jour par le train rapide à Philadelphie. Les jours passaient agréables – moi plongé dans la religion swedenborgienne et les adeptes. M’aiment-ils ? Ici c’est l’adepte qui compte… » (Autobiographie spirituelle, p. 49, L’Harmattan, 2008)

 

Emanuel Swedenborg parmi les plus éclairés des encyclopédistes du XVIIIèmesiècle, ingénieur des mines et mathématicien, astronome et géographe autant qu’architecte, économiste.. (On se souviendra que Malcolm de Chazal a publié deux traités d’économie politique dans les années 30..) Les études d’anatomie de Swedenborg sont orientées vers la recherche de ce qui relie la matière et l’esprit, on dirait les sciences cognitives aujourd’hui, et c’est son intérêt pour la physiologie et les troubles de la vue qui le frappèrent qui l’amène à noter et à publier ses rêves théologiquement extrapolés à mi-vie : Swedenborg  dont l’influence se ressent à toutes les pages de Sens-Plastique comme dans tous les ouvrages de Malcolm de Chazal dont il aura poussé la théorie des correspondances après Charles Baudelaire jusqu’à l’ultime limite de sa Lémurie à lui, celles où tout correspond à tout..

 

« L’être humain n’est pas conçu seulement de ses parents. Les parents ne donnent pas une âme à leurs enfants. On pourrait parler de l’âme comme de l’étincelle divine. L’âme n’est qu’une prédisposition à une vie céleste. Mais on peut perdre son âme. C’est alors l’homme qui n’a pas de nom. (Le baptême n’y fera rien. Le baptême du Jourdain pour Jésus ne fut qu’une confirmation.) … Ce qui n’a pas changé depuis mon enfance, c’était que j’avais un monde à moi. … Donc on est pré-né. Puisque tout vient de Dieu. Et Dieu n’est pas dans le temps.. » (Autobiographie spirituelle, p.17)

 

Aux particularismes visuels s’ajoutent ceux que l’oreille repère vite, que l’anglais est la langue dominante, ce qui arrange la communauté indienne mais ne perturbe personne, les chinois étant polyglottes et les francophones s’exprimant en français ou bien en créole mauricien  -  l’anglais aux affaires, le français à l’éducation, le créole à la rue et la campagne.. Les deux langues historiques se partagent les noms des lieux, des villes et des villages où le « socîologue » et l’onomasticien repèreront la diversité de peuplement originaire de l’île : Terre Rouge, Pamplemousses, Poudre d’or, Grand Baie au Nord ; Mare d’Australie, Bon Accueil, Trou d’eau douce, Bel Air, Belle rive, Mahébourg, Rose Belle à l’Est ; Bois Chéri, Britannia, Savannah, Bénarès, Souillac, Surinam, Le Gris Gris au Sud ; La Gaulette, Petite et Grande Rivière Noire, Tamarin, Clarence, Flic en Flac, Médine, Albion à l’Ouest ; Rose Hill, Quatre Bornes, Curepipe, Nouvelle France au Centre..

 

Une polyphonie de langues, que le nouveau venu peut trouver dépaysante – un pays où l’on changerait de pays à mesure qu’on le traverserait en marchant, quand un champ de cannes à sucre ne vient pas rompre cette monotonie dans la variation à haute fréquence par une monotonie à perte de vue d’un paysage modulé de la seule présence des pains de sucre volcaniques..

 

Aussi le destin de Malcolm de Chazal, « Je suis né au sein d’un bois (qui est devenu ensuite champs de culture de cannes à sucre), à l’arrière de la maison de mon grand-père… Car le séjour à Cockerney (nom hindou) lieu de ma naissance, ne dura que le temps des premiers enfantements… », ibid. Chap. II, p.23) avec celui de son frère, fils de planteurs, était-il inscrit dans le grand livre encyclopédique du monde et comme il l’écrit dans son Autobiographie spirituelle comme dans Sens unique :

« J’eus Seize ans dans les Montagnes rocheuses au Canada lorsque je gagnais l’Amérique par l’ouest, pour mes études. Pendant cinq ans je fis à l’Université de Bâton Rouge, en Louisiane, ce que j’appellerai mon supplice de la fausse connaissance, bien que continuant ma vie d’autrefois, telle que je la vivais à Curepipe. J’en sortis cinq ans après avec un diplôme d’ingénieur sucrier.. » (Sens unique, p.5)

 

La canne à sucre est une plante miracle comme il y en a tant dans la nature : toutes ne le sont-elles pas ?. Elle est composée à 70% d’eau, 17% de saccharose imprégnant 17% de fibres.. Y-a-t-il des chiffres magiques ? Malcolm de Chazal a définitivement répondu que oui.. Le protocole de fabrication du sucre, tels ou à peu près que ces petits cristaux en poudre ou cubiquement comprimés se tiennent sur nos tables depuis les Croisades, depuis la culture du Sacharum officinarum jusqu’au raffinage et la production de « rhum » dont le nom à consonance latine donne un avant-goût, a acquis depuis belle lurette ses lettres d’industrialisation..  A un an, la canne de près de deux mètres est adulte, c’est-à-dire qu’elle est adulte quand vous n’êtes encore qu’un enfant, qu’elle a grandi presque vingt fois plus vite que vous, et c’est alors qu’il faut la couper à ras du sol, et que cesse l’incompréhensible et sonore murmure des champs quand le vent faisait se frotter entre eux les bords des limbes de ses longues feuilles  – champs où de nombreux duels à l’épée se déroulaient simultanément pour le même et mystérieux motif sous des vols de chauve-souris pour servir de témoins..

 

Chose importante dans le cas qui nous occupe, la récolte intervient juste avant la floraison, quand le taux de sucre est au plus haut, de sorte que le spectacle des champs de fleurs en plumeaux blanchâtres, que l’on dirait d’autruche trottinant sur place est interrompu avant le bouquet final – et la reproduction sera assurée par bouturage à partir de morceaux de tiges..

 

Vite ramassée après le sectionnement et vite transportée à l’usine pour défibrage – tout doit aller très vite, il en va du taux de sucre, de l’aptitude à la cristallisation future.. Déversée, la canne est conduite par de larges tapis roulants aux cylindres métalliques soudés de dents d’acier pour être croquée, le jus recueilli d’un côté, le vesou, le résidu fibreux et sucré de l’autre, la bagasse. C’est alors que le jus chauffé, filtré, chauffé, évaporé à sirop, cristallisé, la masse-cuite est centrifugée afin de séparer le sucre cristallin de la mélasse et enfin séchée.. La bagasse servira à alimenter les chaudières et la vapeur à délivrer l’énergie mécanique et électrique dont le processus est vorace.. Et Malcolm de Chazal écrira La vie filtrée..

 

Les feuilles hachées aux champs lors de la récolte et les résidus boueux de l’extraction dispersés contribueront à la fertilisation organique de la prochaine récolte : Lavoisier y verrait un exemple grandeur culture plus que nature de sa loi de conservation de la matière.. Cette autonomie offrait des perspectives d’agriculture industrielle rares qui ont fait la fortune des grandes familles mauriciennes dont celle de Chazal.. Et quand un poète devient ingénieur agronome spécialisé dans la culture des poacées, tribu à laquelle appartient la canne à sucre, pas étonnant qu’il devienne un jour un agro-poète..

 

C’est pourquoi ses livres se présenteraient sous la forme de fragments qui ne devraient rien à ceux des romantiques, des premiers aux derniers, mais sembleraient comme le produit de lâchers successifs de cannes à mots comme au mikado : chacun des fragments de Sens-Plastique semble constitué d’arrangements avec les mêmes mots que les précédents, disposés en équilibre syntaxique instable, sens dessus dessous de Sens-Plastique comme de La vie filtrée..On s’explique ainsi la fragilité rationnelle des énoncés sous ces dehors démonstratifs s’agissant d’essayages et de reprises, cette impression de reconfiguration sémantique au cours des pages qui sollicite pour leur compréhension à la fois la mémoire physiologique des sens et la plasticité du cerveau..

 

On s’explique ainsi que la contradiction logique puisse y régner en maîtresse absolue, c’est-à-dire la vie aux points de contact des mots et que le plaisir du texte sourde lorsque la lecture qui consiste à extraire la signification d’une botte de baguettes de mikado provoque ce goût sucré évanescent de la vérité dans la bouche : « Le rouge éclatant est le plus rapide patinoir visuel (sic). Glissoire tellement rapide, que le jockey vêtu de rouge passe en saccades, au lointain, sur la rétine, par manque d’assises de la lumière, qu’aggrave le galop précipité de sa bête élancée. » (Sens-Plastique II, p.75, The General Printing & Stationery Cy Ltd, 1947)

 

Pudding idéologique et métaphysique dont témoignerait indirectement l’envoi « à ‘’Paru’’, Monaco, Hommage de l’auteur, M de Chagal, 29/3/1947 » de mon exemplaire mauricien n°62 (sur 300 exemplaires..) de Sens-Plastique, Paru revue monégasque dirigée alors par Aimé Patri, professeur de philosophie, collaborateur du bulletin communiste de Souvarine puis trotskiste dissident et futur auteur des notes du Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski paru chez Gallimard en 1961, lequel ouvrage Chazal ne pouvait pas avoir connaissance, dont Sens-Plastique serait comme l’antithèse absolue du Tractatus..

 

Blocs de pensées à l’emporte-pièce, c’est ce caractère profus de considérations improbables, « fortuites » qui a séduit d’emblée les surréalistes, ces sortes de réponses à des questions qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de se poser sauf un Sphinx à lui-même.. Observations du monde capitales pour le poète, idiotes au sens premier, syllogismes fondés sur de dérisoires assertions qui subjuguent en ce que tous les rapprochements sont permis, tout est comparable à tout ce qui vous touche, glisse, passe, pense à travers le corps, que le corps traverse : il n’y a pas de grands écarts impossibles pour ce yogi de l’analogie..

 

Il y a du Giordano Bruno dans Sens-Unique mais en ce que, oui, le centre de ce monde est partout et par conséquent nulle part, toujours ailleurs que là où vous êtes à le penser, mais un Bruno inverse là aussi, en ce que Chazal ne cesse de témoigner d’une foi dans la réincarnation salvatrice, hindou, oui, mais inverse encore, quand l’hindou veut tendre à mourir pour de bon : « La vie est le rhizome de l’Eternité. Le fini est le tubercule de l’infini. L’espace dans le vent est en éternel saut périlleux… » (Sens-Plastiquep. 318)

 

Une lecture phénoménale, qui vous ferait passer par toutes les couleurs des sables de Chamarel, vertigineuse sous l’effet de la permutation infinie à l’œuvre dans ces paragraphes aux lexiques de sciences naturelles, biologique, anatomique et médical, sportif, astronomique, économique et religieux : lexique d’un fol ingénieur sucrier et chroniqueur quotidien prolifique de son île (Comment devenir un génie ? Chroniques, Vizavi, Port-Louis/ Philippe Rey, Paris, 2006.)

 

La sorte de tournis que donne la lecture de la suite géométrique des petits blocs de textes comme il se produit les yeux bandés à colin-maillard, lequel tournis qu’il nous donne et qui le réincarne dissimulé derrière un arbre du Jardin Pamplemousse dans le strict costume de Wall Street et chaussé de Richelieu à bouts fleuris, nous regardant avancer les bras tendus, à la recherche du sens de ses incongruités dont la raison de la suite recule à mesure et pour cause..

 

Le tournis d’une tournure d’esprit matérialiste orientée vers le maximum de clarté dans l’expression de l’esprit extravagant, le dé-lire délirant, poussé à la cristallisation sémantique, comme celui du saccharose en sac à roses : « Baiser. Deux papillons de chair sont en gobe-mouches mutuelles dans l’azur empourpré de leurs ailes géantes – deux infinis dans un même ciel d’amour, cherchant frénétiquement à se confondre comme la lumière et la couleur s’étreignant dans l’éclat. » (Sens-Plastique, p. 351) : cela ne veut rien dire !

 

Bouquet de pensées aux pétales dessinés par un dieu à l’emporte-pièce en forme de prisme à géométrie variable, les fleurs n’y tiennent-elles pas le premier rôle dans Sens-Plastique et Dieu, Jésus ou Juda dans ses ouvrages méta-méta-physiques et la race des Géants dans Petrusmok parmi lesquels se tient Malcolm de Chazal en fol ingénieur littéraire..