Les Onze de Pierre Michon par Augustin Diaz

Les Parutions

07 juin
2009

Les Onze de Pierre Michon par Augustin Diaz

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Terreur magique






Les Onze de Pierre Michon est saturé de répétitions.
« Dieu est un chien » par exemple ou, bien entendu, le mot « onze ». Mais, plus surprenant, les mots « magie », « magiquement », « magicien », reviennent plus de vingt fois en 137 pages, sans compter ceux d' « enchanteur » ou de « sorcier ». Si l'abondance de magie me frappe, c'est d'abord à cause de l'anémie de ce mot fatigué qui cadrerait mal avec l'effervescence du roman. Mais une fois le livre refermé, je me dis que le magicien est l'auteur lui-même et que ce « Monsieur », très raide, auquel il s'adresse tout du long est l'assistant qui lui tend sans mot dire le chapeau et la baguette magique.
Chapeau duquel l'auteur fait jaillir des phrasadmirables en les tenant par les oreilles, des envols de colombes, la fiction du peintre et du tableau des Onze. Le magicien a du talent, il connaît la musique. « C'est un styliste », ai-je entendu dire. Mais n'est-ce pas « un styliste hélas » ? Le style est-il une magie, cette poudre aux yeux fût-elle merveilleuse, ou alors une grâce, ce qui advient de surcroît, et qui est un « ouvroir », pas un écran de fumée.
Le peintre n'existe pas, pas plus que le tableau, mais les onze, oui, Carnot, Saint-Just, Robespierre, pittoresques, c'est-à-dire : dignes d'être peints, admirables. Et frères, et amis, ô combien. Saint Just:
« Celui qui dit qu'il ne croit pas à l'amitié, ou qui n'a point d'amis, est banni ».
Admirables parce que frères. « Ce sont des gens qui s'adoraient et se flinguaient. Comme si la dernière amitié, c'était de s'envoyer à la guillotine (... ) Robespierre a été témoin au mariage de Desmoulins. C'était des frères. Et l'entre-tuerie était d'autant plus forte qu'ils étaient frères (... ) Oui, je les comprends, je les absous et je les admire » dit Michon sur le blog de Didier Jacob.
Mais, attention, cette fraternité qui autorise la terreur « au comble de l'histoire » n'a rien à voir avec d'autres terreurs, d'autres combles de l'histoire, le XXe siècle a sans doute moins de style. Et il est simplement ironique que les membres du comité exécutif des Khmers rouges se soient donné le titre de frère, Pol Pot, « Frère numéro 1 », Nuon Chea, son principal lieutenant et idéologue, « Frère numéro 2 » et ainsi de suite jusqu'à 13, pas onze, heureusement.
Récemment, je voyais « United red army », un film de Koji Wakamatsu sur l'extrême gauche japonaise des années 70, un film éprouvant d'où est absent tout merveilleux, mais qui me semble nécessaire. Il nous apprend comment une bande d'amis ont mené à l'autocritique et à la mort nombre d'entre eux. La pire exécution, car elle se l'inflige elle-même, est celle d'une fille coupable d'être coquette. J'ai sursauté en lisant dans l'entretien de Julien Coupat paru dans Le Monde (prose corsetée, jugée « admirable », encore, par nombre d'entre nous) : « Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers, et de filles... ». Amitié virile, terreur sanctifiée par magie, « filles » à mettre au lit mais dont les lèvres trop brillantes dérangent le bel ordonnancement du tableau.
Si je crois à l'amitié, si je ne mérite donc pas d'être banni, j'ai horreur de sa tyrannie. Et je forme des vœux pour qu'elle ne me rende pas plus fort, mais appuie ma faiblesse.

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