en passant par Jacques Demarcq

Les Célébrations

en passant par Jacques Demarcq

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      En 1967, je découvrais Tel Quel, dont il y avait tous les numéros à la Maison de la culture d’Amiens où je bossais. Je connaissais Ponge, le nouveau roman, Roland Barthes que publiait ou commentait la revue. J’y rencontrais Maurice Roche. Les essais de Sollers m’impressionnaient. Mais le vrai choc, décisif, ç’a été les poèmes de Denis Roche. Ils flanquaient par terre l’idéologie poétique dont ma jeune révolte s’était gentiment corrompue. Comme beaucoup alors, j’étais sous l’influence du surréalisme d’entre-deux-guerres. J’avais 21 ans.
    Les poèmes de Denis Roche m’ont été et me restent des énigmes fascinantes de vitesse d’écriture (« une question de collimateur » in Récits Complets, 1963), de dérèglement des phrases, de collisions entre l’histoire, l’art, l’intime, avec des citations de partout (Miss Elanize, 1964), et de désir omniprésent (Éros énergumène paraît au début 68), de « poésie… inadmissible » (paru dans Tel Quel fin 67), de lyrisme saccageur érigeant de virtuoses fissures.
    La secousse produite par ces textes a eu pour quelques-uns un effet libérateur. Des poèmes autres que « poétiques » étaient envisageables. Le « poïte… tripote-l’être » Denis Roche a quant à lui fermé boutique avec Le mécrit (1972), à l’insolente, insultante préface. Qui oserait cela aujourd’hui ? L’écrivain a encore publié Louve basse (1976), Dépôts de savoir et de technique (1980) aux perspicaces préfaces de nouveau, puis des livres de et sur la photographie.
    La porte qu’il a claquée sur les figures de la poésie, des ronrons renouvelés en ont vite recouvert le bruit. Nul ne s’est avisé que Denis Roche avait pu être le Rimbaud de la fin du vingtième siècle. Pas l’Arthur du Printemps des poètes et autres célébrations fades. Mais le marcheur « en avant, route ! », le wanderer de William Blake sur les couvertures de la collection Fiction & Cie, qui dans l’inexistante poésie n’a été que « de passage ».
    Même si je ne l’avais pas revu depuis 1997, si je garde ses livres sous la main, la disparition de l’homme accueillant et malicieux qu’il était m’a plongé dans la tristesse. Je ne lui rends pas hommage, je me dis que quelques-uns pourraient aller y voir.