En attendant la fin du moi de Laurent Fourcaut par Jacques Demarcq

Les Parutions

17 juin
2015

En attendant la fin du moi de Laurent Fourcaut par Jacques Demarcq

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Sonnets

 

      Écrire un sonnet par-ci, par hasard, parce que 14 lignes suffisent, passe encore. En faire un livre, 50 ou 100 d’une traite, avec l’envie que du vivant, c’est-à-dire des questions, se produise dans la réitération forcément changée d’une forme rebattue, historique, peut-être pas épuisée, est assurément hors saison, d’ailleurs pas vendable, ni jeune ni populaire. Trouver un plaisir à de tels bouquins ne peut qu’être un signe d’arriération culturelle. La preuve en est que je vais parler d’un livre paru il y a 5 ans.

     Laurent Fourcaut n’est pas jeuniste, il est gioniste : a beaucoup écrit sur Jean Giono, un peu sur Apollinaire, Queneau, Simenon, Nougaro. Il avait publié en 2006 Sonnets pour rien chez Tarabuste. Le titre du suivant, En attendant la fin du moi (2010), confirme un sens du dérisoire sans lequel un poème risque l’épanchement, avec débord de sentiment. Le sonnet, c’est vif, rapide comme un gag. Sérieux pourtant, méditatif, « la fin du moi » est attendue avec lucidité.

     Presque quotidiennement, Fourcaut compose un sonnet, supposément à la va-vite sur un coin de table, devant une bière, ainsi que le suggèrent les nombreuses scènes de bar décrites au présent. D’où une contradiction entre le vécu banal, actuel, et le traditionalisme d’une forme dite fixe. Le souci d’en respecter ou mimer les règles (dispositif de rimes, alexandrins, prononciation du « e muet ») entraîne d’autres tensions : le parler popu côtoie à la Queneau des archaïsmes, des mots se brisent à la rime, des accents ratent la césure, la forme fixe se fissure. Ces tiraillements étranglent toute rhétorique au pro?t d’une hasardeuse mais vivante dynamique d’écriture. Et le réalisme des choses vues, bues, entendues, débouche sur la ?ction, le désir vrai des femmes aperçues. Un exemple :

 

              Zinc du bar Le Danube, odeur d’eau de Javel,

              un jeune Black aboie dans son maudit portable,

              le printemps est très doux, j’ai posé mon cartable,

              le réel est suave, ord, tueur de cervelle.

 

              Maintenant chez Rabah j’entends pas du Ravel

              (dieu merci) mais du jazz, un air plutôt potable,

              or une très jolie nana se met à table

              au bar où hélas elle tourne (j’en bave) elle

 

              me tourne le dos, elle a à peine vingt ans,

              épais cheveux frisés – un spectacle éreintant –

              et un derrière ravissant dans un bleu jean ;

 

              par malheur – à l’égout, le pétun ! – elle fume,

              mais elle est vivante et sexy comme feue Jean

              Seberg, en moi elle ranime le posthume.

 

     Les sonnets de Fourcaut sont à lire comme le Canzoniere de Pétrarque (qui avait composé un poème pour chaque jour : 365 + 1). Se dessine là aussi un autoportrait, plus grinçant certes, avec au second plan un tableau du monde, tel qu’il va cahin-caha. Des femmes, multiples et en chair, ont remplacé l’irréelle Laure, et jazz et bière, l’idéal courtois. Le sonnet improvise sur des standards sociaux ; il reprend ses thèmes favoris sans craindre d’y glisser des fausses notes personnelles.

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