Le rêve du large public par Patrick Beurard-Valdoye

Les Incitations

06 févr.
2008

Le rêve du large public par Patrick Beurard-Valdoye

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J'étais devant la télé regardant une émission littéraire. Sur France 5.
Parmi les invités, le Monsieur le Maire.
Il devait avoir publié un livre, supposé-je : un écrivain.
Il écoutait, les écrivains parlaient de l'état des banlieues, de l'état de l'université.
De l'état des choses.

On l'appelait Monsieur-le-Maire.
Monsieur-le-Maire prit la parole. Il se souvenait comment un Inspecteur de l'Education Nationale
avait dit au jeune professeur, qu'il avait un talent d'orateur.
Et tout le monde convint que l'inspecteur avait été clairvoyant.

J'essayais de réfléchir devant la télé.
J'essayais, mais la télé commençait à réfléchir sur moi.

Monsieur-le-Maire, sur le plateau d'une émission littéraire, ça pouvait bien le dispenser de soutenir
la création littéraire lui, l'écrivain.
Lui, l'écrivain-invité-d'une-émission-littéraire, il pouvait bien mettre en péril les activités
poétiques des associations de sa ville.

Je suis retourné me coucher. Il était trois heures du matin.
J'étais dans tous mes états.

C'est alors qu'une nouvelle vague onirique me renversa :
nous entendions, de guerre lasse (ça se disait, sans trace écrite toutefois : « on a reçu des consignes,
vous savez »), nous entendions donc, avec toujours plus d'insistance, que seuls les projets culturels
s'adressant à un large public seraient dorénavant subventionnés (mais qui donc mesurait et
définissait ce qu'était un « large » public ? demandait un somnambule).
Si bien qu'un poète (« seulement fou, seulement poète » comme l'écrivit l'homme politique
allemand Friedrich Nietzsche) venait suggérer à Monsieur-le-Maire de déposer un dossier d'aide
aux auteurs auprès des instances de l'Etat.
Ce qu'il fit, et fut réélu.