Gérard Duchêne, peintre et écrivain par Jean-Paul Gavard-Perret
Né en 1944 Gérard Duchêne, s’est éteint le 5 novembre. Mais même si sa lumière n’a pas brillé aux firmaments d’une gloire dont l’artiste se moquait, celle-là perdurera. L’artiste a participé dans les années 70 au groupe « Textruction » (nom emblématique à plus d’un titre) avec entre autre Michel Vachey, Gervais Jassaud et Georges Badin - tous hapax de la peinture et de la poésie. Duchêne ne cessa ensuite d'explorer diverses pistes, à partir de l'écrit en jouant avec une esthétique du détournement où demeura présente l’importance donnée à la couleur comme à la matière. Utilisant les supports médias imprimés pour les métamorphoser il opéra sur toile, papier ou dans l’espace même du livre (sous le titre « Journal d’Il ») une écriture illisible, que n’aurait pas reniée Dotremont et qui devint une archéologie intempestive du présent en mettant en exergue la matérialité de l’écrit au mépris (du moins en apparence) du sens.
Preuve pour Duchêne que tout écrit n’est qu’une « réalité précaire » et transformable. A coté de ce travail artistique il développa un travail poétique dont les vers d’un de ses derniers textes publiés « Segments » donnent une juste image et une sorte d’urgence au moment de sa disparition :
« Il faudrait dire
Il faudrait
Pourtant il ne dit pas
il le pourrait peut-être
mais à vrai dire
Il n’a rien à dire
Tout est dit semble-t-il condensé
dans une tête qui ne lui appartient plus
Silencieux
Attendre que la chair fonde
sous les mots »
Ce temps est venu puisque désormais l’œuvre avance dans les couloirs du temps. Elle ne cessera de jeter des passerelles entre l’image et l’écriture comme entre l’être et le monde en une forme d’ascèse. Pour Duchêne comme pour Duras « l’écriture ne se quitte pas ». Et l’art non plus. Mais ce n’était pas une maladie (la seule maladie est devenue la mort) : juste une suite de temps de recouvrement dans l’espoir – mais pas seulement – que les mots et les images fassent ce que la vie ne fait pas.
En leurs fugues elles et ils ne cautérisent pas mais tentent autant le rêve que le réel. Afin d’y parvenir le poète et l’artiste savait qu’il ne fallait pas chercher l’écriture et l’image où on croit les trouver : les deux détestent le bruit, se sont des maisons abandonnées trouvables au détour du sentier où l’on s’égare. Elles agissent en avançant, viennent à l’improviste. C’est un long travail du temps qu’illustrent l’œuvre dans son envergure demeurée trop discrète. Dans ses cendres s’envolent encore les ailes du désir. L’image sur et dans l’écriture demeure lez feu follet qui témoigne du profond travail des vases. Avec intensité.