La Poésie a mauvais genre de Jean-Michel Maulpoix par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

06 avril
2016

La Poésie a mauvais genre de Jean-Michel Maulpoix par Jean-Paul Gavard-Perret

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Bémols aux élargissements

 

 

Au-delà de la forme versifiée de poème il existe bien d’autres configurations possibles. Certes Maulpoix ne les découvre pas mais jusque là il préférait donner aux poètes des nomenclatures plutôt que d’analyser les diverses possibilités de leur écriture en dehors des formes admises. Albatros, dandy, chiffonnier, mendiant de l'azur, cygne pris par la glace, piéton assoiffé, mauvais Hamlet, araignée devenaient les figurations du poète selon le critique.  Le travail de tissage de l'araignée lui semblait l’idéal tant il se plaisait au filage de l'écriture poétique en oubliant combien certaines ficelles font le jeu d’une médiocrité qui se nimbe d’étoiles filées.

Dans son nouveau livre, Maulpoix tente d’élargir le registre. Voire... Ceux qui sont appelés à la rescousse restent des poètes à part entière et de haute lignée : Guillaume Apollinaire, Rainer Maria Rilke, Maurice Blanchot, Christian Dotremont par exemple. Mais tous - lorsqu’ils ne « font » pas dans le genre - restent totalement dedans. Peut-on trouver des écritures plus « poétiques » (au sens premier du terme) que celle de Blanchot par exemple ?

De fait et jusque dans la plupart de ses exemples, Maulpoix reste replié sur une poésie du cœur  - organe qu’il définit dans un précédent essai  comme  « métonymie du poète »,  « organe de l’écriture » puisqu’elle est pour lui  une affaire de rythme cardiaque, de systoles et de diastoles  ou comme disait Baudelaire  " concentration et vaporisation du moi".  Préférant le muscle - fût-il cardiaque – au cerveau avec ses abîmes,  Maulpoix tout en tentant de sortir la poésie hors de ses murs craint qu’une telle sortie n'entraîne la bronchite verbale et l’étouffement d’une parole sacrée.

L’auteur garde un goût louable et plus qu’aimable pour les poètes « inspirés » tel que Novarina. Mais il oublie au passage que pour lui   l'organe du langage, c'est la main. Chez Maulpoix la voix reste tout, elle crée le mouvement de la parole dans l'écriture et préserve le chant pour seul horizon. Néanmoins une pléthore de citations ne suffit pas à convaincre du bien fondé d’un ensemble d’articles dont la logique ou la nécessité est quelque peu tirée par les cheveux.

Sous prétexte de quitter le champ clos du poème l’auteur n’a cesse que d’y revenir emportant avec lui ses bagages lyriques. Au mieux le « hors » du lieu reste un détour ou un biais. Et si le terrain de la poésie s’est modifié, Maulpoix se pose une nouvelle fois en sauveur de la chose poétique. L'auteur de facto - sous feinte de ne pas y toucher et d’effectuer « le pas au-delà » cher à Blanchot - joue les mélancoliques déçus. Que la poésie ne soit plus constituée que de soupçons et de lignes brisées lui brise ce fameux cœur. Sans lui la déception est intrinsèquement de mise. Sans l’ « ardore » il n’est plus possible de grimper au rideau dans un envol triomphal.

Il reste donc difficile pour l’auteur qu'elle se contente dans son appauvrissement de creuser la langue jusqu’à l’impossible. Et si Maulpoix aime Mallarmé il demeure peu sensible à ceux qui peuvent le remplacer ou continuer sa tâche. Ils existent mais il  préfère les Alferi, les Espitallier : ils ont sans doute du mérite mais leur coup de dés n’abolira que fort peu le hasard.      

Implicitement pour l’auteur et en dehors d’un lyrisme actif, le désir, la force de déclamation, la naïveté de l'élan  manquent au discours poétique. Il a beau vouloir l’élargir mais il ne fait que le refermer car écrire "avec ce qui se tait" n’est pas vraiment de son fait. Même s’il tente d’imposer ses croyances au nom de vérités telles des sonates en creux majeur et sous couvert de modestie, Maulpoix reste donc le plus roué des théoriciens implicites. Il impose son diktat en jetant sur le présent un regard désabusé. Son diagnostic sur l’élargissement du champ poétique reste une vue de l’esprit. Il y subodore une sorte de fuite - et pas forcément en avant – selon lui la poésie risque d’y retomber dans la « petite langue ».

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