Les Anges de l'Histoire de Frederika Fenollabbate par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

08 févr.
2016

Les Anges de l'Histoire de Frederika Fenollabbate par Jean-Paul Gavard-Perret

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     Frederika Fenollabbate ne cesse d’écrire d’où repartir enfin : de là où les souffleurs de mort revendiquent pour nous l’oubli afin de dissimuler le passé et préparer leur futur. Ils n’en finissent pas de descendre les volets sur la mémoire. Mais aucun de ses trous ne peut effacer le sillage des corps que l'auteure offre en un livre sidérant pour appuyer là où ça fait mal. Mais – aussi et plus encore -  où ça fait du bien. Apparemment on ne le lui pardonne pas. Pour preuve son livre est scandaleusement ignoré.
      Il est vrai que le système romanesque mis en branle par Frederika Fenollabbate  est en effet bien loin du brouet peu ou prou autofictionnel du temps. Ici entre la narratrice et ses personnages s’instruit un dialogue « amoureux » dans lequel la distance joue son rôle et arrache le roman au barbouillage psychologique au profit du décryptage qui monte la fiction non seulement vers l’apprentissage mais la reconstruction.

     
Comme tout grand roman celui-ci revisite l’Histoire selon des visions qui encore aujourd’hui restent inassimilables. Et l'auteure de préciser : «  Si je veux écrire c'est pour les vivants de demain, mon écriture ne s'imprime pas aujourd'hui, aujourd'hui c'est déjà trop tard ». C'est pourtant dans ce résidus de temps que coule la lave des "Anges de l'Histoire".  Fiction monde, science fiction du corps, le magma de l’auteure trouve son fondement dans une écriture résolument sexuelle mais sans la moindre concession au gore ou à la pornographie.
Frederika Fenollabbate en a franchi depuis longtemps les frontières. Son livre phallique et vulve, est de fait ouvertement politique même si de la politique il n'en pas directement question. Et ce comme dans les grandes fictions d'Homère à  Joyce via Cervantès dont la créatrice reprend le flambeau.L’orphisme du livre transforme l’auteure en futuriste du nouveau genre. Le corps : n’est plus de l’ordre du  souvenir ou de l’évocation angoissée d’un objet perdu (bonheur, amour, paysage) ou enveloppe. Il écarte tout ce qui est de l’ordre  de la nostalgie, du statisme, de la douleur. Il ouvre la fiction, la transforme en « art-action » mâtiné de  volonté, d’optimisme, voire d’agression, de possession, de  pénétration, de  joie et de réalité brutale.
      La splendeur des géométries et des forces femelles et phalliques du livre ouvre une problématique de l’ordre d’un extraordinaire (et en pesant ce  mot). L’opus hirsute casse les tyrannies d’expansion dominatrice de l’esprit sur le corps des individus faite pour asservir le corps social. Frederika Fenollabbate entonne instinctivement  une nouvelle voie  essentielle et fascinante au  langage humain. Artaud n’est pas loin : mais la glossolalie qui pourrait faire obstacle est remplacée par une langue qui paraît simple tant elle est limpide. Une écluse s’ouvre… le règne d’une Beauté nouvelle qui s’exprime. Nous retrouvons là la question postmoderne centrale : celle de l’imaginaire contre l’image.
Jouant au besoin l’orient par l’occident et vice-versa, offrant la traversée de la pré à la post-histoire en un jeu d’écho romanesque, le livre permet de montrer un état du monde où sous les singularités l’histoire n’est plus celle de l’humanité mais des crimes commis envers elle... Le livre est donc un voyage où la naïveté qu’on accorde aux temps passés est effacée. La souffrance procède par touches magnétiques.   Mais des cadavres du passé, Fenollabbate veut extraire la lumière afin que ses diables finissent  de rire dans leurs barbes. Les corps rebondissent, ils disent « Venez par là ». Que faire alors sinon les suivre ? Et la sexualité fait office des semences de vérité. Femmes et hommes sont interpénétrés en étoile. Il s’agit d'affronter le réel pusillanime et muet et montrer la bête quel qu’en soit le repère géographique. Bombe atomique en  Extrême Orient, génocides de l’Occident. L'auteure rappelle qu’on a appelé les exterminateurs des êtres :  ils ne l’étaient plus. Mais elle nous arrache à la victimisation  et à la catastrophe. Les trous de l’histoire se comblent, laissant toutefois béant un inconscient collectif. Ce livre ovniesque constitue un appel pour qu’à la montée des violences succède le désir d’être et de durer.

 

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