Jean Daive, Le nœud (1) par Éric Houser
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La surprise, ou l’art de la conversation.
« C’est comme l’échange des cœurs »
[Première partie]
On transfère sur un livre, savez-vous ? Sur une écriture, un dispositif…, une couleur. Celle-ci, celle du livre : un beau jaune, pétillant. A-t-il un nom ? J’ai demandé à Henri Lefebvre, l’éditeur. J’attends sa réponse.
Un mot sur le titre de cet article, lequel a pour seul but de vous précipiter chez votre libraire pour acheter le livre de Jean Daive, ou le commander en cas d’absence. La surprise ? Dans le sens Haydn, la symphonie qui porte ce nom (mit dem Paukenschlag, est-il indiqué de manière descriptive). Ce fameux tutti de l’andante, qui claque out of the blue après quelques mesures jouées piano. De même, Jean Daive toujours crée la surprise. Par exemple, dans la première partie du livre (François Rouan, le nœud, Jacques Lacan), lorsqu’il apporte (en la nommant) « une serrure en bois avec un loquet », fabriquée par Rouan lui-même : « c’est ça l’identité ». Ce geste (de Jean Daive) est très fort. Très… surprenant. Observez que dans ce qualificatif, il y a l’idée de préhension. La surprise prend, et emporte.
Le jaune en question (réponse d’Henri Lefebvre) : « le nom du jaune est Citrus Yellow (pas très original), (…) j’ai pris le jaune du manifeste de Denise René, Mouvement, 1955, pour relier cette couleur qui n’est pas ma préférée à quelque chose que j’aime ».
La conversation de François Rouan avec Jean Daive ravira celles et ceux (dont je suis) qui s’intéressent, d’une part, à l’œuvre de cet artiste, d’autre part à ce qui fait lien, via la pratique du nœud, entre les deux hommes (Rouan l’artiste, Lacan le psychanalyste). Et aussi, bien sûr, à l’œuvre du poète Jean Daive, maître discret des différents « transferts » en jeu.
D’emblée ce que j’aime ici, c’est que la conversation est laissée « à l’état brut », je dirais : Jean Daive s’interdit tout procédé de lissage (post-prod), ça reste comme des blocs de paroles, de silences troués, qui s’agrègent sous nos yeux comme dans la vie. C’est là le plus grand respect dont on puisse faire preuve, à l’endroit de ces moments de grâce (que sont toutes les conversations véritables, c’est-à-dire non télécommandées par des usages sociaux, comme le sont par exemple les discours académiques, les compliments de mariages ou d’enterrements, etc.). Brut ? Non, justement, tout le contraire, c’est là que de la pensée fine, de la pensée-dentelle a des chances de surgir, au détour d’une formulation, d’une question !
Une dernière chose à propos de la conversation : ce n’est pas sans possibilité, virtualité de se taire au lieu de parler. Une authentique conversation, à mon avis, inclut ça, le « se taire », dont a si bien causé l’abbé Joseph Antoine Toussaint Dinouart dans L’Art de se taire, de 1771 (éditions Jérôme Millon, 2021).
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« Alors peindre ça a besoin de la pénombre, besoin de la pénombre parce que c’est comme l’échange des cœurs, c’est dans la pénombre et que tant que malgré les douleurs, l’arthrose, le ceci, le cela, les trucs, ça n’arrête pas de vibrer. Un jour ça va s’arrêter de vibrer et ce qui m’intéresse c’est ça » (François Rouan).
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Il y a beaucoup encore dans ce livre jaune citron ! C’est trop pour un seul homme, pour un seul article. Je cite, quand même, ce qui suit la conversation avec Rouan : Le labyrinthe de Knossos, Un tressage des intendances (Emily Dickinson, Anne-Marie Albiach), Documents. Encore des mines ! [à suivre]