Olivier Brossard, LET par Éric Houser

Les Parutions

16 mai
2024

Olivier Brossard, LET par Éric Houser

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Olivier Brossard, LET

 

 

« la poésie genre ajouré »

 

 

 

 

 

Le livre d’Olivier Brossard paru en mai 2024 chez P.O.L, entre autres qualités, vérifie l’axiome de relecture : la poésie c’est ce qui se relit, ou plutôt, ce qui se lit plusieurs fois d’affilée (au moins deux), sans attendre le passage du temps, des décennies, qui vous fait prononcer à la cinquantaine ce genre de phrase : « cet été je relis Proust ». En poésie cela ne se présente pas du tout de la même façon. Si ce n’est pas déjà le cas vous en ferez l’expérience ici, et ce n’est pas une expérience de patience mais plutôt, au contraire, d’impatience. La patience, cela consisterait à se dire, devant la résistance du texte (pas que sémantique), « voyons, ne nous affolons pas, allons-y doucement et prenons notre temps ». Faux ! C’est exactement le contraire, à mon avis. Dès les premières pages, on peut entendre Let comme une invitation à décoller.

 

Noter que dans la courte explicitation que propose le site de l’éditeur, portant sur ce titre, en tennis la balle « let », « celle qui touche le filet et retombe sur le terrain adverse », entraîne la nécessité de refaire le coup, de relancer, pour « voir si on frôle encore ». À propos de balle, il faut dire aussi que la dernière partie du livre, USOPEN, a été écrite « d’après Le Serment du Jeu de Paume de John Ashbery », dont la traduction en français par Olivier Brossard a paru aux éditions José Corti en 2015.

 

Le site de Corti indique à propos du livre d’Ashbery que « le serment propose une définition de la poésie comme incessante série de déplacements et d’échanges, de services réussis, de balles perdues et de montées au filet héroïques ». Je laisserais peut-être tomber l’héroïsme, mais je garderais le reste pour avancer que cette définition me semble coller assez bien avec ce que fait Olivier Brossard dans Let. Par ailleurs, la métaphore tennistique a l’avantage de mettre l’accent sur la dualité des joueurs (joueuses), poète/lecteur.trice, nécessaire pour qu’il y ait effectivement poème. S’agit-il d’un dialogue ? D’un affrontement ? D’un jeu en tous cas. Je dirais même plus, d’un jeu amoureux.

 

Ce n’est pas un grand risque de le dire, vu la référence explicite à Pétrarque, dont le Canzoniere se transforme en Exzoniere pour nommer la première partie du livre. Pour lire cette partie, qui me paraît la plus résistante, je me suis d’abord appuyé sur les fragments en italiques qui stationnent assez régulièrement dans le flux du texte. Des bancs pour se reposer, quelque chose comme ça (il y a des bancs au tennis). Pour les lectures suivantes, je me suis passé du banc, j’ai joué la partie sans remplaçant. Les fragments en italiques ont alors changé de statut : non plus aires de repos, mais rampes de lancement.

 

Dans cette poésie il y a quelque chose de juvénile qui en rend l’abstraction tonique (néanmoins inquiète et élégiaque). Juste un exemple, l’évocation de la rencontre de Laure :

 

méprise empire

épars contre toi

la dix-septième année

déjà dépassé

non comme du diamant

mais comme du verre

rompre au milieu

 

L’image du verre rompu au milieu est évocatrice de la division entre « rime in vita » et « rime in morte » (il y a un avant et un après), mais elle peut faire penser aussi au travail prosodique lui-même, la poésie étant dite par l’auteur « genre ajouré ». Peut-être s’agit-il de créer sans cesse des ouvertures (jours) pour que le texte ne reste pas clos sur lui-même, mais ouvre sur son dehors (ex).

 

L’écriture prend un tour un peu différent dans la troisième partie du livre d’après Ashbery, avec une disposition régulière en quatre vers de taille croissante, qui crée un rythme plaisant, comme une navigation (la météo est bonne, gris clair lumineux, temps de demoiselle, la mer seulement ridée de vaguelettes sans beaucoup d’écume). Là il se passe quelque chose d’autre, c’est comme un nouveau paysage, peut-être plus ouvert. Noter que le corps est plus petit que dans la première partie, pour que le vers le plus long puisse rentrer sans coupe.

 

toujours t’écrire

écrire dans tes yeux petite échelle

ces lettres de là de rien de ça de rire de tout sous

terre souche jour-sang expérience maison de boue lettres gâtées d’amour

 

Contribue à cette sensation d’ouverture la présence de sept images, disposées à intervalles réguliers, chacune d’elles provenant d’une capture d’écran de jeu vidéo ancien (jeu de balle à deux), dans les gris, gris clairs, qui semble quasi-antédiluvienne, ce qui lui confère une certaine aura. C’est visuellement impeccable.

 

Je ne dirai rien du texte isolé qui est au centre du livre, Une question de traduction, sinon que ce n’est probablement pas pour rien qu’il se trouve à cette place (au cœur), et que la tentation existe donc de le lire comme une clé.

 

 

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