Et virgule, Jean-Patrice Courtois par David Bonnand

Les Parutions

11 juin
2025

Et virgule, Jean-Patrice Courtois par David Bonnand

Et virgule, Jean-Patrice Courtois

 

« Nous négocions du sens autour du « lieu », cherchant à l'atteindre.
Une pluralité de perspectives se développant à partir de lui. »

Anne Cauquelin, Parler du lieu

 

 

 

Et virgule est le titre du livre. « Et » laisse entendre un avant. « Et » pour la liaison avec ce qui précède. Théorèmes de la nature et Descriptions, est ce qui précède. Et virgule vient après deux livres, deux premiers volumes d'une trilogie dont Et virgule est le troisième livre.

Il est rare de trouver la virgule en son signe de ponctuation juste après la conjonction de coordination « et ».

Ici : Et (devant le mot) virgule.

 

Donc liaison avec ce qui précède et ce qui suivra [Et], puis tout de suite une pause de peu de durée [virgule].

Peut-être une manière ici de prendre le temps. Prendre le temps de mesurer l'écart que produit ces deux mots ensemble.

 

Au dos de chaque livre de la trilogie, on trouve un texte qui présente ce qu'on lira. Ce texte n'est pas dans le livre. Il n'est que là, au dos, proposant quelques indices.

 

Nous avons ensuite les 141 poèmes sur 141 pages.

 

Le poème est sur la page et [1] on peut y revenir. Il y a une première lecture puis une deuxième lecture puis une troisième lecture et ça continue autant de fois qu'on le souhaite : le poème est là sur la page. Une forme toujours différente d'un poème à l'autre. Une forme précise que l'on confronte à nos différentes lectures.

Qu'est-ce qui est là devant nous inscrit ?

 

« (…) Si je devais résumer ma position - même si ça me force un peu et que j'aimerais avoir beaucoup de pages pour étager tout ça avant d'arriver à une formulation et pour être sûr de ne pas être tout à fait mal compris – je dirais que je veux m'adresser aux lecteurs de telle sorte que ce que je donne à lire se situe sur un seuil, qui réserve lui-même la place d'un dispositif d'interprétation ou de mise en jeu à construire. Il y a une opération à faire. (...)»

Jean-Patrice Courtois, Langage et document (Zoème, 2022) page 47.

 

Lire ce qui est écrit, c'est-à-dire prendre des notes. Faire des liens. Recopier un poème sur la page d'un cahier pour voir de plus près comment c'est fait.

Lire et relire ce qui est exactement écrit, c'est-à-dire : « il y a une opération à faire ». 

 

 

Prenons la dernière page du livre qui est le dernier poème de la trilogie, et que l'on peut très bien ne pas considérer comme dernier poème. Relire déplaçant les poèmes et brouillant l'ordre des pages.

 

« Ouvrir le document conserve les écarts. » est ce dernier poème, page 149.

 

Il y a donc un document [2]. Encore faut-il l'ouvrir. Vient ensuite : « conserve les écarts. ». S'intéresser au document et l'ouvrir permet donc l'archive, la conservation, la mémoire. Ce qui est conserver, ce sont les écarts. Et peut-être un indice dix pages plus tôt, pour se faire une idée de ce que peuvent bien être ces écarts.

Page 139, « la danse non contrariée par l'espace » fait face aux : « (…) « systèmes sans hoquets », purs outils dans les programmes, éliminant les « procédés qui ne servent aucune fin déterminée », c'est-à-dire toute fin non pré-déterminée, (...) ».

 

La danse est une « fin non pré-déterminée », est un système avec hoquets : est cet écart qu'il est nécessaire de conserver.

[Conserver ici comme exact contraire d'éliminer.]

 

 

. À l'infinitif ouvrir est le premier mot du dernier poème.

. Le mot virgule par deux fois (et pour la première fois dans le livre) est présent dans l'avant-dernier poème.

. Un arc de cercle pour commencer le livre, celui d'une parenthèse qui n'a pas de fin.

. Au centre de ce premier poème : « l'espace langue pour objets nets, et quoi du lieu dans le lien des mots. »

. Noter la présence d'espaces blancs dans certains poèmes, espaces absents des deux précédents volumes de la trilogie.

. Pasolini est deux fois dans le livre et les deux fois il est nom commun et dernier mot du poème. Il « dit » quelque chose, les deux fois (p.62 et 94). L'un des deux poèmes commence par « la rose la rose la rose, », et l'autre poème par « le cerveau se moque des théories (peut-être), ».

. Le dernier poème est le 24ème du livre qui démarre avec une majuscule et se termine par un point.

. À Pastior aussi, par deux fois lui manque la majuscule pour être un nom propre. Il « dit » lui aussi quelque chose (p.106 et 138).

. Noter la présence de virgules dans tous les poèmes (à quelques exceptions près), virgules absentes des deux précédents volumes de la trilogie (à quelques exceptions près).

. Ovide en tant que nom commun dans un poème (p.63) où « le fossile futur, les roches s'humanisent ».

 

 

Et aussi page 16 :

« Il n'y a pas de passé, il n'y a pas de présent par conséquent il

n'y a pas d'avenir dit le cinéaste dont les personnages ne font

que marcher pendant trois minutes. »

 

(noter ici le verbe (marcher) non conjugué pour ni passé ni présent ni futur)

 

Il y a simplement une vidéo en boucle de quelqu'un marchant trois minutes.

Ces trois minutes en boucle de quelqu'un marchant.

 

Ni passé ni présent ni avenir.

Simplement « une volonté fabricante » (p.41).

 

« une volonté fabricante » qui par « des feux les plus anciens », « trop chaud pour l'accident » a laissé des « traces »(p.41).

« une volonté fabricante » qui dit ici, qu'il y a eu un ici, que « : le lieu n'est pas un « lieu d'habitation » : » mais « « un lieu où on a enterré quelque chose pour vous protéger » : »(p.22).

 

Ni passé ni présent ni futur.

Simplement « la patience de l'eau » (p.20).

 

 

L'insistance pour certains verbes (conjugué ou à l'infinitif ou au participe présent) ou la répétition de certains mots [3] n'est pas pour clarifier quelque chose que l'on sera censé avoir compris une fois le poème lu, mais plutôt insister pour un système avec hoquets, pour « une opacité gardienne de l'adresse »[4]

 

 

Ici une lecture d'Et virgule parmi toutes celles que j'aurais pu écrire et que vous auriez pu lire ici à la place.

 

 

[1] «  « et » ne porte aucun contenu de sens, c'est une simple marque formelle de solidarité. C'est le contexte qui impose l'interprétation de la relation établie. »
Delphine Denis et Anne Sancier-Chateau, Grammaire du français (Livre de poche, 1994), p.135

[2] « Des documents matériels, issus de plusieurs domaines, signalant ou analysant des lieux, des choses ou des phénomènes, ont participé au matériau des poèmes (...) »

Jean-Patrice Courtois, Descriptions, p.153

[3] « (…) Le mot, par-dessus ses propres lettres, plus que leur somme, peut se présenter à nous au-delà du robot ou du fantôme, ni vivant, ni mort, ni revenant, mais à son tour opérateur. (...) »

Jean-Patrice Courtois, Les jungles plates (Nous, 2010), Emballages, p.165

[4] Jean-Patrice Courtois, Langage et document (Zoème, 2022), p.48

 

 

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