Donc c'est non de Henri Michaux par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

08 mars
2016

Donc c'est non de Henri Michaux par Jean-Paul Gavard-Perret

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   Telle une « obsérieuse » l’œuvre de Michaux pousse au bord des étangs reculés et recherche les coins les plus obscurs, éloignés de la rive de la renommée. Une telle fleur pour s’épanouir se charge au besoin d’épines qui rappellent à ceux qui voudraient s’en servir – même dans le but de dresser les bouquets et des couronnes en son honneur - de passer outre. La lumière médiatique n’allait pas au poète même lorsqu’il s’agissait de l’introniser dans l’herbier de La Pléiade (d’autres sont moins regardants…). Michaux savait que la lumière ne convenait  pas à sa « plante ». Et dès que les médiateurs zélés s’en approchèrent l’auteur signifia une suite de fins de non recevoir.  Certains pourraient penser que des sécrétions de suc apparaissent au bout des étamines de la gloire. Mais Michaux se méfia des légendes. Et son écriture se fit carnivore face à ceux qu’il considère comme importuns ou obséquieux.

   Tel un âne rétif Michaux fait preuve de lucidité. Il  reste celui qui écrit d’un « pays lointain, un pays de dedans » qui ne souffre pas de la dissémination, du commerce auxquels sacrifient la plupart des écrivains. La voix intérieure de l’auteur de « Bras cassé » se passe des hauts parleurs. Il ne plie pas les genoux quitte à courir le risque de blesser. Toutefois il met les formes et n’accuse personne. Simplement « l’odeur d’eucalyptus » de la renommée l’indiffère. Et l’auteur de préciser à un critique (Claude Lorent) : « Dois-je vous rappeler que je suis contre tout passé, contre tout lien que je renie et qu’en partie je nie ». L’auteur décline une suite de stratégies parfois sévères parfois drôles afin d’échapper aux temps creux et aux trompettes bouchées d’une renommée qui l’insupporte.
Si tant de créateurs semblent avoir peur de rester seuls, Michaux cultive un splendide isolement.  Et en ce sens il reste un dominateur et le rarissime représentant  d’une communauté littéraire en extinction et pour laquelle le refus permet à la fois de préserver la tension créatrice et d’accomplir un destin poétique face à la captation, la connivence, la submersion. Il sait combien soit l’œuvre se nourrit de distance, soit  se dilue. Il dit en substance à tous ses pairs de choisir leur camp.

   Pour lui tout est plié. Et ce recueil de lettres le prouve. Michaux écrit pour préserver le silence. L'accoucheur de mondes ne veut pas se disperser dans ce qui n'est pas lui. Cette attitude peut sembler paradoxale à l'heure du tout médiatique. Mais le refus (inverse d’un simple renoncement)  du poète reste sa force suprême. En témoigne ce simple mot à Bruno Roy de Fata Morgana : « Au sujet d’une autorisation de reproduction d’un de mes textes (…) refus catégorique et une fois pour toutes ». A bon entendeur, salut.

 

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