Poème en trois sections de Geoffrey Squires par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

23 sept.
2016

Poème en trois sections de Geoffrey Squires par Jean-Paul Gavard-Perret

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On se souvient que l’expérience poétique de Geoffreys Squires commença avec « Pierres Noyées » en partant d’un constat : « comme l'enfance semble déconnectée / et lointaine je me souviens de grands arbres/ et de l'obscurité et d'être porté/ à l'étage. La petite lampe,/ le vent, la neige bloquant l'allée/ grand-mère morte dans la chambre vide ». A partir de là l’Irlandais crée un monde pris entre la dynamique d’un réel âpre et la dimension intime de l’être. Le quotidien est là dans des lieux tellement de tous les jours qu’ils en deviennent étrangers et pourraient creuser une absurdité existentielle. Peu à peu néanmoins, d’un trou de taupe du réel, le poète sort des comètes aux spasmes divers. Influencé par les poètes de la « Black Mountain » (Olson, Creeley, Duncan) il est le digne successeur des grands écrivains irlandais (T. S. Elliott, Joyce, Beckett) d’autant que comme eux, il propose une écriture de rupture avec la poésie traditionnelle irlandaise.

 « Poème en trois sections » s’ouvre sur une phrase de Merleau-Ponty maître des arcanes de la perception : « Après tout, le monde est autour de moi, non devant moi ». Elle place la poésie de l’Irlandais dans l’expérience sensible des phénomènes du réel et du vivant dont il capte l’espace et le silence comme si la minéralité elle-même devenait une belle endormie :

« Il y a des passages qui s’enfoncent dans le bois
des sentiers qui serpentent, tournent, se croisent
et se croisent encore, reviennent sur eux-mêmes
et une sensation de clôture, qui interdit
toute idée de retour, une coupure
une délimitation où que nous soyons »

Mais cette délimitation devient une parallaxe, une ouverture. Chaque lieu du lieu mallarméen, par la grâce du « esse percipi » spinoziste, interroge le mystère de la présence et du temps dans tout ce que l’on croit connaître mais qui échappe à l’attention ou plutôt à l’intériorité des êtres butineurs plus qu’explorateurs.

 Ce qui est à portée de main - chaleur, lumière, sons, déplacements intimes – prend une autre dimension, aussi nocturne que solaire. L’auteur situe dans des zones limite de la conscience du monde aux secrètes lumières noires insolites, aux identités abyssales à deux dimensions : l’une intime, l’autre océanique. Une transparence passe au suraigu et un fantôme sombre au manteau de braise rend l’ombre encore plus profonde. De lueurs d’ornières ressurgit un réel sauvage mais où l’être trouve une nouvelle dimension près des contrées de l’informe. S’agit-il d’un miroir d’angoisse ? Non. Il s’agit plutôt d’une sorte de nostalgie de l’irréel en chute libre au fil du temps. Tout passe à la rouille du noyau des horloges. L’irrésolu se révèle hors pathos en d’étranges rondes ou châteaux de cartes. Reste la lumière obscurément promise en des retours noirs ruminés par le blanc.

 

 

 

 

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