Deux livres de Daniel Pozner par Sarah Kéryna

Les Parutions

06 déc.
2019

Deux livres de Daniel Pozner par Sarah Kéryna

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Deux livres sont sortis ces deux derniers mois. Deux livres du même auteur, Daniel Pozner. L’un aux Presses du réel dans la collection Pli, l’autre aux éditions Fidel Anthelme X.
Ces deux livres, unis dans une proximité éditoriale, dialoguent également dans leurs écritures.

 

Lorsque l’on commence la lecture de Défense, illustration, impatience et épluchures de la langue française, il est impossible de l’ interrompre, happé qu'on est par l’avancée imperturbable d’un flot d’observations, citations, expressions, voix, tournures, prélèvements bruts du langage, parfois tronqués ou laissés en suspens, qui se déploie, scandé jusqu’au vertige.

  

La gamme entière des tentations
Et des vices est disponible
Temps passé à battre le pavé
Improbable que l’écart
Toujours un terrain vague
Toujours et encore
Encore
Massages avec une pommade magique
L’histoire a-t-elle un sens comment
Je comprends qu’elle se taise
Comment fonctionne le cerveau etc.
Pétards charivari manifestants

 

L’on songe quelques fois à Michèle Grangaud, dans sa collision de fragments, son évocation du quotidien et sa radicalité objectiviste.

 

Le plein, l’abondance et la densité du texte sont tenus à l’écart de toute loquacité à l’intérieur d’un découpage par bribes, sans ponctuation, au rythme percutant, où chaque phrase sonne comme une saccade. Ce « collage polyphonique » qui mêle intime et politique, personnel et collectif, est un miroir tendu au monde contemporain, saturé d’informations, d’échos, de messages, de rumeurs et de lieux communs ; tantôt tragique, drôle, comique parfois, aigu toujours. Une expérience inédite de la langue.

 

 Chuchoté au petit matin est aussi un travail musical, la partition étant cette fois composée d’une note unique et discontinue, qui vibre tout au long du livre. 

Chaque mesure, matérialisée par une ligne, - courte, seule, nue -, se découpe sur le blanc de la page ; s’interrompt, suspendue au milieu du feuillet, pour reprendre au suivant, régie par un principe quasi chorégraphique, qui pourrait être celui du pas chassé : Guère grégaire tu suis/une seule ligne. Brin effiloché multiple/souple parfois cassant. Si fin résistant/fil au vent s’agite un jour.  Parfois, l’irruption d’un paragraphe fait entrer une rupture dans le rythme :

 

Les lieux communs
parfois j’y reviens.
Théâtres bistrots laveries
automatiques.
On y croise du monde.

 

Simple dans sa forme, Chuchoté au petit matin n’en est pas moins complexe.

Ponctué de silences - le blanc de la page, les ellipses, des traits -  le texte fait émerger, à la manière d’un négatif, un arrière-plan qui se dessine en creux. Parce que l’écriture est sobre, délicate, dépouillée, elle révèle sans révéler – et c’est cela sa grande force- ce qui est soustrait et tu. A travers sa structure même, un canevas horizontal qui redouble le motif des parallèles évoquées à plusieurs reprises, - les rails ? – elle semble faire corps avec la mémoire dont elle se fait l’écho. Le surgissement de quelques mesures d’un morceau connu  - au titre tronqué  - à la dernière page, suivie de ces deux questions : Qu’avons-nous fait des années ?/ qu’avons-nous fait aux années ?  résonnent comme le bourdonnement d’une basse dont on perçoit alors toute l’acuité et la gravité. 

 

Ces deux textes –l’un procédant par addition, l’autre par soustraction- convoquent chacun à leur manière une trame liée à l’histoire et à l’état du monde, dans une construction qui avance inexorablement, tenant le lecteur en haleine.

 

A lire de toute urgence !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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