Libre jeu de Guillaume Métayer par Silvia Majerska

Les Parutions

28 juil.
2020

Libre jeu de Guillaume Métayer par Silvia Majerska

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Libre jeu de Guillaume Métayer

Puisque la rime fait débat (cf. Quel avenir pour la cavalerie de Jacques Réda), on lance une bûche dans le feu. La bûche, c’est Libre jeu de Guillaume Métayer. Le feu, c’est le sonnet avec son faisceau de quatorze flammes.

Le livre comporte soixante-trois sonnets, pour la plupart construits sur le rythme de l’alexandrin, moins souvent sur celui de dix, neuf et huit syllabes. En multipliant par quatorze, on obtient le nombre de vers, que l’on divisera par deux pour obtenir le nombre de rimes (on verra pourquoi). Nous soustrayons aussi les sept sonnets sans rimes aléatoirement distribués à travers le recueil. Le nombre de rimes tourne autour de 390.

Le livre s’ouvre, à un texte près, sur un sonnet-berceuse (« Terre ») qui instaure un certain pacte de lecture – un peu comme lorsqu’on passe de l’autre côté du miroir, et qu’on accepte de laisser le sens migrer pour se déposer autrement. Un peu comme une excursion d’avant la mémoire.

« Par la fenêtre cet autre monde / le matin En son feu impuissant / les lauriers d’un autre continent / inclinés une immobile ronde […] Or // je me renterre au fond de mon rien / l’abîme d’oubli où tout s’abstient / et je me rendors je me rendors. » (p. 20)

Dès lors, la rime devient adjuvante et dévoile son sens pendant que le livre nous invite à voyager dans le temps. Un triangle de trois instants scelle le livre de part et d’autre : un présent et deux passés. L’instant T1, c’est le présent ultra contemporain, celui du nom propre (sonnet enseigne), de la vie urbaine (sonnet parisien, sonnet tgv), de la nouvelle technologie (sonnet connecté), du spectacle récent (sonnet critique). L’instant T2, c’est le premier passé, celui de l’enfance et du souvenir, comme dans le sonnet « Pailleron » :

« Je ne sais si je suis revenu / ramasser des diapositives / collectionner des perspectives / me pencher aux fenêtres ému // pour faire que tout ce qui n’est plus / et est peut-être encore revive / pour saisir par vue rétroactive / ce que je suis dans ce que je fus » (p. 52)

L’instant T3, le deuxième passé, c’est celui de la grande Histoire qui précède le T2. C’est un passé transmis par l’écriture, et auquel on accède par la lecture. Dans le premier, c’est la mémoire des sens, dans le second, la mémoire des lettres, notre « mémoire antique » : « Notre mémoire antique tient / comme le pont sublicien / et celui que bâtit Newton / par un assemblage de riens » (« En pointillés », p. 67).

C’est de ce passé-là que la rime participe. Car si la rime est nécessairement porteuse de sens, le sens de la rime évolue. Elle a été musique et rythme, norme et idéal, rupture et modernité, puis mathématique, contrainte, jeu. Dans Libre jeu, elle devient la nostalgie d’un passé transmis à l’intérieur d’une nostalgie plus immédiate, comme une nostalgie gigogne croissant exponentiellement dans la mémoire du poète postmoderne.

Car on sait que la mémoire s’installe souvent dans les endroits les plus improbables. Et comme la rime est ici assimilée à la langue de la prose et qu’elle pratique le rejet et le contre-rejet syllabique et intra-syllabique, c’est là qu’on retrouve la mémoire – nichée dans cet écart-là, dans l’espace blanc creusé à l’intérieur d’un mot partagé entre deux vers. Dans « représentati- / on » qui rime avec « tournis » (p. 45), « ré- / tractes » avec « mordorée » (idem), « mas / que » avec « vanitas » (p. 57) ou « son / net » avec « personne » (p. 63).

Ainsi, la rime pourra servir d’unité de mesure pour celui qui aura à calculer la distance entre Histoire et mémoire. La longueur moyenne d’une rime s’élève ici à huit centimètres – multiplié par 390, on atteint environ 31 mètres.

 

Le commentaire de sitaudis.fr


Préface de Michel Deguy
Dessins d'Alfred Bruckstein
éditions Caractères, 2017
92 p.
15 €


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