Pascal Boulanger, En bleu adorable ... par Irène Dubœuf

Les Parutions

26 avril
2023

Pascal Boulanger, En bleu adorable ... par Irène Dubœuf

  • Partager sur Facebook
Pascal Boulanger, En bleu adorable ...

 

 

Si Hölderlin, cher à Pascal Boulanger, est présent dès le titre du livre, c’est avant tout pour placer le lecteur dans une posture autre que celle attendue par les diktats de notre société et l’inviter à contempler le bleu là où l’on voudrait l’enfoncer dans le noir. Le bleu, c’est celui d’un regard, du ciel, de la beauté, de l’ailleurs, de l’infini, celui qui ne se voit pas nécessairement, les « étangs et campagne de Bretagne s’inscrivent souvent dans le gris », mais auquel on aspire et que l’on peut trouver dans les mots du poème.

Ces carnets de notes, dédiés à Alma, la petite-fille de l’auteur, constituent un livre multiforme, sorte de journal bien que non daté – excepté l’installation en Bretagne et la naissance d’Alma – un journal faussement intime : le poète livre quelques fragments de vie : « 65 ans aujourd’hui. L’enfance ne s’efface pas » mais surtout des sensations, des réflexions, des questionnements et des réponses en prise directe avec l’actualité politique, alternant aphorismes, poèmes versifiés, poèmes en prose, proses poétiques, prose journalistique et citations diverses, pour la plupart littéraires et philosophiques. Faussement intime car Pascal Boulanger les partage et son style est tel qu’on a la merveilleuse impression d’être invité dans sa bibliothèque.

On y remarque dès l’entrée un Vermeer, La femme en bleu, et au fond, un Courbet représentant la mer à la marée montante – on commence à feuilleter des livres, ceux d’Hölderlin et de Chateaubriand, mais aussi ceux de Rilke, Aragon, Mallarmé, Marguerite Yourcenar, Lacan, Deleuze, Sartre… (pour n’en citer que quelques-uns), on lit des lettres de Rimbaud, de Guy Debord, d’Althusser ou d’Heidegger… on commente, argumente, on établit des liens, on débat sur des thèmes à la fois universels et intimes : la mort, l’amour, le divin… à travers des sujets actuels tout aussi brûlants qu’existentiels comme la crise sanitaire et le totalitarisme, car « La France est devenue un camp de rééducation dans le perfectionnement maniaque du management ». Mais Pascal Boulanger est poète et la poésie prend le contrepied de ce monde « dénué de toute passion, aventure, risque » car « il s’agit de s’éveiller à son propre gouffre intime, là où le silence rendu présent s’entend et s’étend à l’infini, près d’une rose fine sous un ciel de noce ». Aussi nous propose-t-il de délicieux moments de poésie,  lisant ses propres vers ou citant ceux des autres et, le soir, nous entraîne au dehors pour assister au colloque des hirondelles autour de sa maison ; on aperçoit alors ce bleu très pur, objet de sa quête, qui « se noie dans un bouquet de nuages ». Puis le silence se fait autour de nous, ne reste que la beauté.

On referme le livre et l’on comprend que le poète qui n’a « vécu que pour vivre dans un tumulte de livres et de lèvres » s’est éloigné de la mondanité pour mieux l’analyser, et qu’il s’est établi non loin de la baie du Mont Saint-Michel, au cœur même de la nature pour « vivre comme un dieu, ignorant l’heure qui sonne, voyant tout dans un éclair » et pouvoir enfin « habiter poétiquement le monde (et non pas économiquement) », à l’instar d’Hölderlin : « la folle sagesse d’Hölderlin a été de tenir à distance le monde afin de l’approcher au plus près »

 

Le commentaire de sitaudis.fr

"En bleu adorable, carnets 2019-2022" 
Éditions Tinbad, 2023
 90 p.
15€ 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis