Philippe Blanchon, Fortune par Véronique Vassiliou

Les Parutions

13 févr.
2023

Philippe Blanchon, Fortune par Véronique Vassiliou

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Philippe Blanchon, Fortune

Un je à l’est et l’autre à l’ouest

 

 

Fortune nous est donnée que de lire Philippe Blanchon, de le lire non en fin traducteur, mais de le lire en auteur, en auteur délicat. Philippe Blanchon nous livre un chant neuf en neuf temps. Des temps comptines et comptés : avec un prélude, un départ, des quais et côtes, côtes et terres, terres et guerres, guerres et quais, puis une issue, une fortune contre-chant et un final.
Comptine pour l’enchaînement et canto general. Chant au phrasé ample et mesuré, peuplé d’alexandrins brillants. Des alexandrins qu’on pourrait qualifier de « naturels » tant ils viennent à propos.  Et le propos, précisément, serait un road poem mâtiné d’autobiographie diffuse. Pas de grand je mis à nu, ah ça non, plutôt le cours d’un fugitif furtif
Ou une relation, car Philippe Blanchon relate. Il narre, d’un ailleurs inconnu :
Le capitaine, mer basse, de sa retraite
Rapporte la traversée mosaïque de Leblanc

 

Un ailleurs qui pourrait être intérieur. L’écriture de Philippe Blanchon naît d’un élan qui vient d’une pensée, d’une pensée en organe vibrant, nourrie par ce qu’il sait, lit, traduit, imagine : « Observer et penser. Observer sa pensée ». Et son livre se situerait alors hors temps, ni moderne ni ancien, résolument contemporain et enraciné dans l’histoire de la poésie. De la poésie monde. C’est que, dans les ciselures de cette écriture, dans son élégance humble, c’est l’absolu qui est visé.

 

Hors temps, l’anachronisme y est de mise : « seigneur » « serf » « onguent » surgissent, désuets étonnants. Hors lieu,

 « il l’appelait matin alors qu’elle s’en allait
[…] Paupières closes. Etoile du nord.

Le chant de l’étoile du Nord, serait-ce celui de Iboshi Hokuto, poète aïnou ? Et Philippe Blanchon, pratiquerait-il un dérivé de ch?ka, poésie (ka) longue (ch?) ?
Mais pas hors-jeu. Classique, pourrait-on dire. Je réponds : audacieux. Il est audacieux de se détacher du monde et de ses codes. De se déclarer orphelin volontaire, Ce qui surgit n’a que faire. Que faire de père et mère. Et d’aimer le labeur d’écrire : couverte la feuille elle disparaît : il se sourit. Et d’user du vers, en faisant valser les hémistiches : D’abord. Un. Pause. Point. Prudence. Attention.
Attention donc est requise. Corps (céleste) remuant des constellations (cellulaires), Fortune appartient à ces minorités dont on n’entend que trop peu parler, migrants mineurs majeurs : Rejetés - devenir, non organes, mais relations,

Récits de deux trois temps, hors siècle magicien
Et stérile ; de leurs noms, de nul nom ; d’une mer
A une autre ; […]

Ne laissez pas passer ce(tte) Fortune, publié(e) à La lettre volée, au printemps dernier, ce livre infini, épopée, où le commencement est fin, où fin est commencement.

 

 

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