Siah Armajani (1939-2020) par Christian Bernard

Les Célébrations

Siah Armajani (1939-2020) par Christian Bernard

  • Partager sur Facebook

 

 

 

Une grande passion lucide

 

 

 

 

Avec la disparition de Siah Armajani, nous perdons un ami très cher, très fidèle, au-delà de ce que fidèle peut dire : absolument généreux. Fidèle à sa ville d’adoption, Minneapolis. Fidèle à son admirable épouse, Barbara. Fidèle aux valeurs universelles sur lesquelles il avait fondé son travail.

      Il était difficile de ne pas s’attacher à lui tant il savait faire confiance et se montrer curieux d’autrui, tendu vers son écoute. C’était un homme d’apparence fragile et inébranlablement fort. Comme une chandelle s’éteint dans la nuit, son cœur l’a lâché, lui épargnant les dégradations de certaines longues maladies. Il y a un peu plus de nuit aujourd’hui, moins de cet espoir que son humanité contagieuse nous communiquait.

      Celles et ceux qui ont approché son œuvre d’artiste savent combien son art était adressé à chacun, par-dessus les frontières trop étanches des mondes de l’art.

      Armajani restera pour nous une rencontre décisive. La rencontre d’un homme libre, la rencontre d’un homme enthousiaste, complexe, riche de sa solitude qui n’était pas un isolement mais une distance prise avec les comédies sociales, les faux-semblants. Un homme qui ne trouvait pas en lui de raisons de s’incliner devant les rois. Un homme qui engageait sa pensée dans tous ses échanges, dans toutes ses lectures, dans tous ses actes. Un homme qui ne reculait pas devant la nécessité de protester contre le cours mortifère des choses. Un homme moral mais sans austérité ostentatoire, capable au contraire de fantaisie, d’humour, d’auto-dérision.

      Si Armajani avait un peu renoncé à son grand rêve d’artiste public, il n’avait en rien renoncé à sa croyance en l’art adressé, en la vertu démocratique d’un art qui trouve ses formes dans le commun, qui cherche ses destinataires dans la rue. Celles et ceux qui ont traversé ses passerelles piétonnes à Minneapolis, à Beloit ou à Strasbourg ont fait l’expérience du pont comme lien, de l’art comme trait d’union.

      Les philosophes et les poètes qu’il lisait faisaient d’Armajani un être émancipé des appartenances et des provenances. Il se définissait comme artiste et comme démocrate, il était son propre projet. L’Amérique a longtemps accueilli de telles figures en mouvement qui ont enrichi sa culture et sa réalité collective. C’est l’honneur de ce pays d’avoir fait place à cet artiste. La reconnaissance que le Walker Art Center et le MET Breuer lui ont récemment offerte, après les musées européens, est venue consacrer cet accueil.

      Grâce à Siah Armajani, nous avons lu des livres et des poèmes que nous ignorions. Grâce à lui, nous avons voyagé aux Etats-Unis, en Iran, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en France. Grâce à lui notre monde s’est agrandi. Comment rembourser notre dette ? Les grands artistes sont ces passants à qui nous empruntons sans intérêts le sel de notre existence. Armajani était de ceux-là.

 

Christian Bernard et Valérie Mavridorakis, 30 août 2020.