UNE ILIADE ET TU RESQUILLES par Christian Arthaud

Les Incitations

04 avril
2024

UNE ILIADE ET TU RESQUILLES par Christian Arthaud

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(Truchement et anagogies dans la vingtiémité poétique)

 

texte

 

Qul flamberge confesse ensuite sa routine

Sans tambour, estourbi, imprègne les luettes

Glanées et gobées, d'un subit trésaillement mal-

Voulu.

                                                          Echo itératif.

 

commentaire

 

Le thème de cet extrait de texte saute aux yeux et aux oreilles du lecteur : il s'agit de l’accouplement, ou plus exactement, pour annoncer déjà le vocabulaire de l'auteur, du coït.

 

1ère note marginale : tout effet produit discours


Nous nous limiterons, avec une approximation qui laissera du lest pour l'élève, l'étudiant ou l'amateur, à l'apect phonique, qui, ici, est l'objet d'une inventivité caractéristique. Un conseil, cependant : une exploration structurale et morphogénétique vous apportera maintes satisfactions. Voici énoncées les preuves du coït, après quoi nous exposerons le problème ou l'énigme que ce texte, contradictoirement, nous somme de mettre à jour.

 

2ème note marginale : le peu que la sexualité tient du corps


L'écriture obéit à une giclée qui ronge, à une "dictée du songe" (Lagarde et Michard, XXème, p. 348), il s'agit de la sève à l'état brut, et ce n'est pas pour nous surprendre que l'auteur place la poésie dans la pureté et l’authenticité ; nous reconnaissons bien là la volonté de rendre compte (et l’âme) du rêve, du fantasme, de la pensée traversée par un corps maître. Le texte porte à dessein, comme pour mystifier le lecteur inattentif, le masque du sonnet, ou plus exactement le masque d'un poème auquel les vers de 13 pieds le font marcher à un rythme tout de saccades et d'irrégularités. C'EST LE LANGAGE LUI-MÊME QUI JOUIT. Mais n’anticipons pas.

 

3ème note marginale : il n’est de rupture que bagages gagés

 

Questions de temps : le 1er vers est long, les suivants accélèrent sans qu'on puisse noter un cycle ou une évolution. C'est le chaos. Les images acoustiques : il semble que les phonèmes soient pourvus de sonorités plus spécifiquement significatives aue tout autre élément (sens, connotations, signes graphiques). Ainsi les Qui / con, flam / fesse, Sans / tam, Gla / gob sont-ils des couplages intéressant notre démonstration. Certes, les indices de corporalité sont lisibles (estourbi, luettes, gobées), mais également audibles (au 1er v. erge = verge, vierge ; con = vagin, fesse, tine = « ma titine », pine, sans = sang, glanées = gland, gob- = zob, trésaillement = saillie, mal- = mâle. L'attirail sonore est parlant mais non systématiquement étudié afin de ne pas installer le lecteur sur une piste trop évidente ou confortable qui rendrait le plaisir de lire amoindri ; l'auteur a pu penser au'il fallait laisser toutes les chances aux lectures autres, signe qu'il respecte infiniment son public.

 

4ème note marginale : l’alangue est la rédition du sens


Une étude phonétique nous conduirait trop loin ; sachez cependant que cinq r amènent le mot luette, organe mis à contribution aussi dans l'élu(e) (l'autre) de « les luettes », et dans uvitta (luette en latin) aui nous invite à penser à la vitesse (de vibration de l' organe) et au redoublement de l'article, comme pour accentuer son usage à l'occasion de la prononciation de son phonème.

Sachez enfin que parmi les consonnes ce sont les occlusives qui dominent (K, t, p, etc) : elles se produisent avec une occlusion momentanément complète du canal buccal, puis une ouverture brusque laissant échapper la colonne d'air.

 

5ème note marginale : le pouvoir des mrots

 

Procédés de dénonciations d'une conceptualisation idéaliste de l’amour : dans « flamberge » il y a flamme, verge, axés autour d'un b qui n'est pas sans rappeler bébé c'est-à-dire l'infantilisation du langage dans ces moments-là. Le mot « tambour » n'est pas là par hasard non plus ; il est constitué de amour, bourre, et tombe bien pour durer cent ans (bourg?).

Dialectiques développées : les termes « imprègne » et « subit » sont pour nous des pièces à conviction ; l'auteur nous convainc que pour lui l’amour, dans ce qu'il a de plus naturel et biologiquement légitime, est fait de domination (règne) et de soumission. C'est clair. Le rejet de « voulu » au vers suivant n’est pas autrement concluant : maladresse et empressement, volonté impérieuse entachée de honte. Le texte se termine ainsi par un vers réduit à son strict minimum ; il s'agirait de la jouissance que cela ne nous étonnerait guère.

La métaphore buccale tient lieu de carrefour pour une poétique de l'imaginaire de l'auteur. voulu = goulu = glanées et gobées = luette. Il semblerait qu'avant le coït d'autres exercices d'excitation sexuelle aient été pratiqués (69?). Glanées et gobées évoquent une activité de collection, de recueillement, dans le sens de conserver, d'avaler, etc.

La symbolisation de la luette en pénis ou en clitoris d'une part, de la bouche en lieu où l'acte se consume d'autre part, corroborent assez nettement les spéculations du Dr Freud et de ses adeptes qui n’ont pas manqué de relever combien manger est une parodie de l'acte sexuel ; une nourriture est séminale ou n'est pas.

 

6ème note marginale : aussi ne suis-je que du rien dire… raidi


Par ailleurs, il est édifiant qu'un équilibre aussi fort apparaisse dans un texte cahotant et assymétrique : les trois verbes actifs compensent les trois verbes passifs et les deux noms communs féminins font le pendant aux deux mots masculins.

La finale u de voulu par quoi le poème nous quitte suscitera un commentaire qui, à l'occasion, pourra paraître pertinent : lu, bu, du, mu, fu, su, tu, vu, cu (cul?), nu. Voilà le fin mot de l'histoire (car cela en est une), nous voici retournés (?) au Qu du début. Cela nous confirmerait dans l'hypothèse d'un 69 hétérosexuel, s 'il n'y avait pas, par ailleurs, de constantes références au son « coït ». Les ensuite, les subit insistent gravement sur la question, connotés qu'ils sont par ui, oui. (cf. Joyce dans Ulysse). L'histoire serait donc un recommencement éternel de plusieurs positions pour jouir. À noter le faible, sinon inexistant, apport métaphorique et phonique de la notion de pénétration ; quand on sait que l'auteur est un homme, cela a de quoi surprendre.

 

7ème note marginale : sans naître

 

L'ajout, hors poème, de « écho itératif » clarifie le problème ; tout cela a lieu dans une répétition infinie, même et autre ; et coït et ratif = rétif, rature. Oui, i l s'agit de faire l'amour fréquemment, sans nul doute. Le serpent se mord la queue, à la routine de l'accouplement succède le refrain (re-frein?) de la jubilation, au tristus post coïtum se substitue le désir fou, et cela dans un éternel mouvement.

 

8ème note marginale : l’engeance des ouïes

 

Et, pour montrer que rien n'est simple ni univoque, le poète nous donne une lecon de morale : nous lisons dans « trésaillement malvoulu » ail - mal (douleur, mauvais) et trè - voulu (excès, désir). Quelle lucidité, et quelle clairvoyance : plaisir et souffrance se mêlent inextricablement ! Telle est la condition de l'humaine nature.

 

9ème note marginale : l’harmonie enfin grâce à cette parole qui s’absente


Nous pouvons désormais conclure, car à ce stade de notre commentaire  explicatif, vous conviendrez aisément que les choses apparaissent avec distinction, soit : que l'enjeu du poème est de nous rendre tels que nous sommes, avec les contradictions inhérentes à nos contraintes dont le couplage avec nos volontés sème un trouble et un désordre sans autre nom que celui émis par le poète en personne.

À 1'amorce de ce travail succinct mais efficace, nous semble-t-il, nous avions évoqué la nécessité de mettre à jour l'énigme de ce texte. La voici, telle que nous avons la possibilité de l’énoncer : quel est le sujet de ce texte ? Qui flamberge ? L’écho ? Le coit ? L’auteur ? Le couple ? À l'évidence, sujet et objet sont identiques, à la fois présents et absents. Ce bout de poème, d'apparence anodine, aura transformé l’histoire pourtant mouvementée et pululeuse de la poésie, nous venons de vous dire pour quelle raison. Apprenons à faire parler les langues ! PARADE, et principalement ce morceau d’anthologie, est le premier texte à faire état, barrant l'origine et tout référant, de l'étant, dans une mouvance où tout est possible, mieux, où tout est souhaitable.