Jeux d'oiseaux dans un ciel vide ... de Fabienne Raphoz par Caroline Sagot Duvauroux

Les Parutions

17 mai
2011

Jeux d'oiseaux dans un ciel vide ... de Fabienne Raphoz par Caroline Sagot Duvauroux

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Les sorvulidés de Fabienne Raphoz


Ceci n'est pas un conte mais un comportement.

Fabienne Raphoz est un bipède aptère hélas, ne peut survoler ce cheptel d'augures. Lui faut un néologisme à tête d'oiseau, un sorvulidé, d'entrée de jeu. Nous sorvulerons les noms d'oiseaux. Malin. Elle pose le jeu qui en est un. D'un même trait, pose la légèreté de la plume et l'impuissance devant la tâche énorme : faire vivre. Alors quoi sinon des mots ? du moins des mots... jusqu'à... tu oublieras jusqu'à son nom semble-t-elle emprunter aux évangiles dans sa sombre prophétie en atours jubilants.

Vent de mer ce matin dans la montagne où je vis. Les disparus viennent avec le vent de mer. Ainsi les âmes et les oiseaux. Ainsi nous nommons, venus des mers avec les vents, les disparus pour qu'ils rejoignent notre proche disparition. Pour qu'au sursaut de vivre, le mot rende gorge à toute la vie de toute la vie qui l'a nourri. C'est ça le boulot d'homme. C'est ça qu'elle fait. Si l'âme est sur la mer, que la sterne l'apporte et la mette à sa place. Pendant que le vieux sage de la fable hassidique perd au fur et à mesure des générations suivantes, le nom du coin de forêt qu'il connaît, les gestes pour le feu et les paroles pour le dieu, déjà le descendant lointain raconte cette histoire et le dieu vient. Voilà la folle audace de la littérature : perdre en même temps qu'un autre, loin, à venir, raconte ce qui fut perdu et le retrouve ainsi, l'offrant, futur.

On raconte :
Le shaman est venu
a soufflé sur les résidus
sacrés
:
les a fait migrer


Elle fait ça, dans un jardin composite de langages et de signes, près d'un merle commun à nous tous. C'est le merle de mon jardin. Qui d'ailleurs n'est pas à moi dira-t-elle, ni le jardin.

Pendant que le dieu vient dans tous les insignifiants murmurer qu'une herbe a sauvé Psychée ou qu'il est revenu le Gypaète barbu, Remy de Gourmont dans sa Physique de l'Amour, raconte : un (oiseau) n'a pas de nom prononçable : les savants le désignent par cet assemblage de lettres : ptilinorhynches. C'est l'oiseau jardinier... et voilà toute l'affaire. Un oiseau imprononçable, collecte dans les forêts qu'il habite, tous les fragments de bleu, plastique ou baies, qui pareront le jardin de sa femelle. Si elle vient. Quand elle viendra. Même tard. Ainsi le lecteur et le poète. F.R. fait ça. Elle écrit l'apprentissage, la lecture et le désir, et la crainte. Elle écrit les consonnes de l'imprononçable oiseau, et gratifie notre oreille de quelques voyelles qui nous font grâce d'incompétence. On est bien, de ne pas connaître sa propre place, dans cette taxinomie. On est comme dans vivre, perdu et retrouvé quelquefois par une consonance ou un colibri. Libéré de propriété, on est parmi, sous locataire d'un temps, à l'abri de ce qui passe. Elle a cherché tout l'hiver les clefs et les notes qui pourraient faire le poème, elle a posé les cailloux bleus puis elle chante (il a bien fallu poser les cordes les guirlandes et les chaînes d'or pour que danse se puisse aux illuminations de Rimbaud).
Se sont inscrites les lettres qui font les mots savants, notations, qui nous transmettent, avec le silence redouté des oiseaux, une partition de phonèmes. D'abord. Je parle au béotien comme moi. Et ce béotien, malgré sa confusion, avance au rythme de, grands pas petits pas, incapable d'imager ces graphies, avance en liturgie, au rythme typographique qui premièrement le regarde et l'ébranle, avance dans le butin d'un autre, une aubaine ! Il se prend à prier (qu'encore l'âme se pose par voie d'abeille ou de sterne, où il est ?), il va se perdre dans l'anaphore lancinante qui retentit de formules magiques comme un oracle chaldaïque, et voilà qu'il est rejoint où se pose depuis toujours le simple : là. Rejoint par la chute ordinaire d'une phrase, le verbe être et l'attribut qui suit, est en danger... est vulnérable...
Alors se met à palpiter le vulnérable en syncopes et en trilles, en pensées qui ouvrent l'œil et la bâtée aux pépites minuscules que draine la liste qui répertorie le monde. Et voilà qu'il semble éclore, le monde, par bouts minuscules, et ce sont des fragments poétiques, des poèmes aussi parfois sur l'étendue d'une page en bord de mer. Alors les images se font en tête, perçant l'appel sonore de cette incantation. Fabienne Raphoz n'y est pas seule, elle s'y dépossède même du survol et par là du discours bien pensant, elle écrit peuplée de lectures et considérations, s'en accompagne pour grappiller des bouts de ciel pris aux fronts, à la nuque, aux pattes des oiseaux qu'elle nous confie. Et c'est vrai que le ciel est un peu moins vide dans l'œil inexpressif de l'albatros à travers quoi Melville pensait atteindre des secrets concernant dieu. On se souvient que la seule rédemption du Consul de Malcolm Lowry fut le salut d'une mouette.

jusqu'au point rouge de la calotte
:
mire ailleurs des canons

la beauté c'est une viande


(Bosque del Apache, p. 67)

La classification agit ici comme une anamnèse sans rédemption que le peu qu'on peut : dire. Conjuration ? (n'oublions pas qu'en liturgie chrétienne l'Anamnèse suit le Canon), croiser les doigts et dire vivre ? S'aidant de débris de contes populaires, de formules magiques, de systématique et de science du vivant, de larmes dëenfants, de courages d'enfant, sans occulter la part ésotérique de l'anamnèse, F.R. mène sa passion éclairée jusqu'au chant, et le chant, de même qu'il précède l'oiseau, précède ici nos connaissances, trace un appel.

Elle a tout rangé, n'a rajouté qu'un mot parfois qui dérange toute la liste de sa provende. Un mot si simple et qu'on comprend si bien qu'on s'effare que ce ne soit que ça : vivre. Une notation si prosaïque qu'on rit comme d'un trou dans un glossaire. Un trou où on s'engouffre, absous d'ignorance.
Ragtime, rap entêté qui répertorie le sériel et l'atonal d'une fuite éperdue. Ira-t-elle plus vite que ne s'éloignent les oiseaux ? Et voilà qu'on se prend l'horizon dans les yeux. Une plage !

Ciel criblé / d'ascendances lointaines / aigües / c'est l'ivresse / ivre d'elle-même
(vols joyeux)

Comme par enchantement, le livre est magnifique et le cœur enfantin soudain remercie les »ditions Héros Limite d'avoir fait le jardin si juste à ce ciel litanique.

dans la coda impossibleu n'est contoiseau

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