dans la nuit de samedi à dimanche de Nicole Caligaris par Caroline Sagot Duvauroux

Les Parutions

07 juin
2011

dans la nuit de samedi à dimanche de Nicole Caligaris par Caroline Sagot Duvauroux

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Oter les noms, ôter les routes de la surface, c'était le mobile du départ.

On naît d'une mémoire ici, pas la sienne, la mémoire d'un autre qui bave ou crache paris et dénis, pas les siens. Pas d'errance, des errements, une erreur gigantesque entre l'espace et le temps, avec pour appel au voyage, un sou doré dans la main. Et le voyage est une langue. On pense dans le premier chapitre à Malcolm Lowry, convoqué d'ailleurs par le caustique lunaire qui désigne un breuvage compatissant.
Ensuite chaos misère et coups de pieds au cul, rapines, culots, bouches, mandibules : Viandes. À canon, à bouche. Peu dire qu'on rate deux, mieux ou pire, deux est un leurre.
Une grand mère étrangère va d'un point à un autre et on oscille d'elle à elle. Sans elle.
Tout est dans la main, se passe là. Lignes, offrandes, prises. On lèche. Des restes d'histoires. Barka tenait dans sa bouche une carte du ciel ... .. mais la nuit était trop noire pour une carte du ciel, il n'y avait rien là-haut.

Un toit, c'est un navire. On vogue dans le ciel par lignes de mémoire, on s'enfile dans les trous. On finira en mer. Ce qu'on cherchait dans les constellations pour revenir à l'enfance, à l'ailleurs dont on vient, dont on ne connaît qu'un doublon (une redite ? un sou d'or ? le redoublement d'un nom trop ordinaire pour exister seul, Barka Barka ?), ce qu'on cherchait, la langue, le récit, le voyage, on s'y noiera d'une ou d'autre façon, extase ou enfoncement, à la fin du livre. On a placé l'eau sous le ciel et c'est pareil. Mortel.
Les phrases sont immenses, bave et merveilles, avant de se casser en traits brefs, puis de vous reprendre dans leur lente circonvolution. Sûr qu'il y a peu d'échappatoire, on est cerné ou mordu.
Quoi dire de cette nuit parmi les autres nuits semblables ? Le peu est dit ; pourrait se répéter à l'encan, mais qui entendrait ? Un whisky pour avancer la nuit. Point. Des poids, des empêchements, des balises, les franchissements ne se font pas. Une géographie dans la main, rien que les lignes et les dessins qu'elles font, sans le nom des routes.

Une langue souple tisse une toile, il y a du large dans les mains du début et de la fin, du va et vient, on peut partir en langue. La première phrase est interminable et la dernière aussi, elles voyagent. A l'appel du double-on ?
Entre la première et la dernière séquence : la chute brutale de l'édifice invisible d'une ville semble-t-il. Et d'une langue qui se tentait, qui se défait, inutilisable ou inapte. Entre les deux, on tue. On lit celui qui a trahi vivra. Mais tous sont trahis par un doublon d'eux-mêmes qui ne les fait plus rêver.

Il est possible que le sujet soit la fiction c'est-à-dire l'écriture qui circonvient et puis tue ponctuellement ses sujets, après que le mot a tué tout ce qu'il ne dit pas, qu'il convoitait, les liens possibles, les trajets de mémoire qu'on appelle au début et qui se sont perdus en mer à la fin. Sans importance. On ne croit pas qu'elle parle comme ça, Nicole Caligaris, alors ce je récitant ? trop facile de dire un double (un sésame ? un sou d'or ? caligaris caligaris ?), je ne crois pas. Je crois que je circule parmi les empêchements, cauchemars ordinaires où les temps ne concordent pas, où les vides et les pleins ne s'épousent pas. Je crois qu'après avoir emberlificoté le jeu dans une rêverie poétique sur le double nom, c'est dire l'absence de nom, sur le reste précieux, merveilleux, de la mémoire d'un autre et qui résoudra le conte et nommera l'avenir du passé dans un songe de géographie des origines, je crois que le je, c'est l'acte de mort qui défait le double : qui écrit. Il Emprunte l'instant, non par jouissance mais par indigence. On lâchait le croc pour une cigarette. C'était l'été. Il Empreinte la séparation, se sépare lui-même, de la phrase investigatrice pour lancer ses banderilles au garrot de la misère ordinaire. Emprunte les littératures, policières, absurdes, beckettienne, avant de revenir à coup de whisky par procuration, se noyer en mer et boucler le roman. Je = écris = tue = n'y peux rien.

On a regardé la nuit encore un moment, on a eu cette faiblesse, c'est ce doublon étincelant, je ne peux pas dire le contraire, j'y ai vu moi aussi le premier point d'un ciel capable de se coucher sur nous et de nous garder à l'abri de la langue immense dont il suce la terre... ... .

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