Ma durée Pontormo de Pierre Parlant par Paul Echinard-Garin

Les Parutions

06 janv.
2018

Ma durée Pontormo de Pierre Parlant par Paul Echinard-Garin

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Maniera poétique et tempera all’uovo…

 

Quelle meilleure invitation à la lecture que de constater par hasard l’enthousiasme d’un poète ? Alors que je visitais fin octobre l’exposition consacrée aux Maniéristes du Cinquecento au Palazzo Strozzi, et la salle qui place en contiguïté effective les Dépositions de Rosso Fiorentino et de Jacomo Carucci da Pontormo, je reconnus face à la seconde l’éditeur de NOUS, accompagné d’une double paire d’yeux : Pierre Parlant était là, alors qu’avait paru en septembre son dernier opus dans la collection « Via ».

Les coïncidences façonnent de fait nos vies, « incroyable feuilletage d’événements » (p. 323). C’est l’objet de Ma durée Pontormo, qui postule la présence du sujet de l’écriture dans la vie d’un autre. Le journal du peintre donne explicitement son « tempo » (12) au volume ; on peut faire siens ses mille indices quotidiens, comme le fait toute traduction (celle de Lebensztejn truffe ici le texte). Le « rendez-vous » est le moyen d’expérimenter la superposition du temps de l’un avec celui d’un.e autre — il consiste en un dialogue avec « C. », compagne anonyme et vrai nom du peintre. Mais il n’oublie pas son contraire : le hasard du voyage, l’éclat de l’incidence. On saisit là le point de poésie, celui par exemple de quatre mots d’Ovide articulés à la contemplation d’une fresque de la villa Médicis de Poggio a Caiano. Même après une pensée suicidaire, le plaisir du « statut bref des choses » (147) se perçoit dans cette manière de se fier au « jeu des phénomènes » (148), de faire de tout particolare un motif — Parlant se réclame de la « prose en prose » de Jean-Marie Gleize, mais aussi de Stendhal et d’Hubert Lucot.

Les neuf moments qui font de fragments du Journal des titres possibles ont pour enjeu l’examen de soi, à ceci près que l’auteur s’autorise à « faire [son] Pontormo » (176) si besoin : la première personne complète alors les blancs, en lien avec la troisième qui restaure la genèse de certains corps peints et la composition picturale. Ces façons d’inventer la vie d’autrui font aussi retrouver à l’auteur des souvenirs de sa propre enfance. Cette singulière écriture de soi confère surtout aux questions culinaires une fonction essentielle. L’auteur râpe ainsi du parmesan puis prépare les cèpes p. 31, pour le risotto qui mijote encore page 168. Cette écriture avoue être de même matière que le liant d’une sauce. Parallèlement, le chromatisme de Pontormo se niche dans une décoction d’artichauts, des pétales écrasés, une rucola ou le « plâtre gâché qui unifie les cardes, les orties et la brousse du souper » (201). La traversée d’un marché toscan — ses étals, ses écritures, ses fragments, tous nommés, de chair animale — fait ainsi partie intégrante des « travaux et [des] jours » (28) du poète et produit avec la liste des aliments ingérés par le fabricant de couleurs une surimpression sans précédent.

Mais « aimer la peinture, c’est manquer son rendez-vous » (317) : l’ekphrasis des œuvres n’aura été que « compulsion d’aveugle » (316) — aussi bien l’image ne se limite pas à son cadre, mais se trouve affectée par l’œil, la lumière, l’exposition, le temps qu’il a fallu à un corps pour se tenir face à elle. À ce titre, Parlant conteste à deux reprises le préjugé de Vasari à propos de la lenteur de l’artiste ; le choix des notules veut à son tour prévoir le rythme de la lecture. C’est souvent à Montaigne qu’on songe, non tant pour son voyage en Italie qu’au regard de l’allure du propos, à sauts, gambades et digressions feintes : le long parcours qui mène vers Vertumne et Pomone ne fait ainsi abstraction ni de la voiture, ni d’un restaurant mixant légumes et cellulaires, ni des gardiens visionnant un match. De sorte que si « l’idée d’original relève d’une illusion » (262) et si Pontormo en tant que peintre n’est jamais le centre exclusif du propos, le poète effectue le trajet vers l’incomplète contemplation des œuvres. Dans ces conditions, l’homme peut par instants apparaître : « Le voici donc qui vide un fond verdâtre dans le mortier, renifle, essuie sa manche, puis fait monter, appelle, autrement dit élève une couleur » (68).

On accompagnera la lecture d’une projection de La Ricotta de Pasolini, dont les scènes en couleurs rendent hommage aux Dépositions susnommées. Je ferme quant à moi le livre vert vif et jaune pâle pour préparer l’omelette « poisson d’œuf » transmise à la page 186, via Pontormo bien sûr.

 

 

 

 

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