Où sont-ils maintenant de Laura Kasischke par Camille Sova

Les Parutions

04 déc.
2021

Où sont-ils maintenant de Laura Kasischke par Camille Sova

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Où sont-ils maintenant de Laura Kasischke

Lignes de fuir

 

 

Où sont-ils maintenant de Laura Kasischke, publié en octobre 2021 par Gallimard dans une traduction de Sylvie Doizelet, reprend l’anthologie de la poète d’abord publiée en 2017 chez Copper Canyon Press sous le titre de Where Now : New and Selected Poems

 

Encadré par les poèmes les plus récents – les news poems issus de Where Now – l’ouvrage permet de découvrir des extraits de tous les recueils de la poète publiés jusqu’ici, présentés selon un ordre, peu ou prou, antéchronologique. Ainsi se succèdent : Les Infinitésimales ; Espaces, dans les chaînes ; Lys dehors ; Jardinage dans le noir ; Dansent et disparaissent ; Feu et Fleur ; Ce n’était pas ; Ménage dans un rêve et, enfin, Folles mariées - seul ouvrage traduit en français jusqu’ici, disponible en Points Seuil, sous le titre de Mariées rebelles.

 

Avec cette édition, son œuvre se donne à lire dans toute sa richesse. On y découvre ses évolutions stylistiques – à rebours, donc – ou, plus justement, la constance de son écriture. Mis à part quelques abandons survenus assez rapidement – un travail sur les blancs du texte au sein des strophes et un goût pour les épiphores – l’écriture de Laura Kasischke s’illustre par sa cohésion depuis son premier recueil, il y a presque vingt ans. 

 

Son style – s’il en est ? – s’incarne bien plus dans le mouvement qu’elle donne à ses poèmes que dans les structures qu’elle utilise – marquées, principalement, par des enjambements avec rejets et contre-rejets. Ce n’est pas tant l’écriture elle-même qui semble importer mais le mouvement qu’elle décrit, le mouvement qu’elle permet.

 

Ce mouvement, Laura Kasischke en fait une véritable fuite : descriptions prosaïques et méditations oniriques se côtoient dans un poème mouvant, toujours prêt à surprendre son lectorat ; le poème est vivant et son écriture répond au seul regard d’un enfant distrait, toujours prêt à regarder ailleurs. Si la quatrième de couverture de l’ouvrage évoque l’influence des surréalistes et de Plath dans le travail de Laura Kasischke, c’est précisément dans cette ligne de fuite que se perçoit peut-être le plus sensiblement l’influence surréaliste.

 

Face à une perpétuelle ouverture, le poème donne l’impression d’un tunnel dont on ne verrait pas le bout – peut-être le même que celui dans lequel chute Alice pensant rejoindre le centre de la Terre ? Une voix s’amène, une piste s’ouvre mais très vite elle disparaît, remplacée par une autre. Ici, ce n’est pas tant le rapprochement du parapluie et de la machine à coudre qui compte mais plutôt le saut de l’un à l’autre, l’incessant mouvement d’une chose à une autre – saut de tique, diraient Deleuze et Guattari.

 

On passe de l’oiseau à la mère qui meurt, on retourne à l’oiseau ; vient ensuite un autre poème et « dans l’intervalle, votre esprit est rempli d’arbres ». Les questions interrompent le fil d’une image - Alice, toujours, s’impose à l’esprit : curiosité de l’enfant face au monde qui dérange – ou au moins qui étonne.

 

Pour autant, la polyphonie n’est pas cacophonie et comme toutes et tous, Laura Kasischke a ses motifs, ses gestes préférés. Par exemple, nombreux sont les poèmes à finir aux pieds des étoiles alors qu’ils partaient du plus prosaïque de la terre. La focale s’agrandit, le poème dézoome et voilà que la scène est rejointe par le ciel. Mais, là encore, loin d’être objet de simple contemplation, chez elle, même les étoiles sont teintées d’ironie.

 

« Nous pouvons placer une cible sur le cœur de n’importe quel
anarchiste, Imam, membre du Tea Party, et
même à travers la profonde

intimité de la mer

nous pouvons envoyer une onde d’électricité
lisse comme un souvenir.
Et moi-même

j’ai été témoin

d’un miracle au moment où il se produisait :

un enfant sur le siège arrière
d’une voiture dans un parking derrière un bar
qui attendait son père au milieu de la nuit, alors,

que toute la scène était filmée
par un satellite depuis le ciel
par ce que cet enfant a certainement pris
pour une étoile.
»

 

C’est là qu’intervient probablement la deuxième référence, promise sur la quatrième de couverture, à Sylvia Plath. On retrouve chez Laura Kasischke ce même goût pour l’ironie qui caractérise l’écriture plathienne ; l’ironie domestique de celle qui refuse de se laisser enfermer ou l’ironie de celle qui n’arrive pas à regarder la mort au premier degré.

 

« Je voulais te dire quelque chose
avant que tu meures, mais l’ai avalé sans faire exprès, comme un œil
 ».

 

Si les fantômes traversent les poèmes, la fuite veille et les directions multiples du poème – souvent d’ailleurs empruntées simultanément – coupent court à tout larmoiement. Comme dans un rêve, il est dur de s’appesantir trop longtemps sur la source du drame car il est probable qu’interviennent en plein milieu de la scène « trois minuscules chaussures » dont on ignore l’usage et le sens de la présence.

 

Rien d’étonnant donc à fuir vers les étoiles quand on partait des chaussures car le poème aurait pu, tout aussi justement, fuir dans une théière ou derrière un lapin blanc – l’important étant l’intensité que le mouvement de fuite est à même de produire ; intensité magique, magnétisme aurait dit Gracq à propos de Breton.

 

 

 

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