Poésie-Paélo, Maxime Morel par Didier Arnaudet

Les Parutions

12 mars
2021

Poésie-Paélo, Maxime Morel par Didier Arnaudet

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Poésie-Paélo, Maxime Morel

 

Crabe bouilli

 

Tout commence ici par le paysage. Le paysage est un carrefour où se rencontrent des éléments qui relèvent de la nature et de la culture, de la géographie et de l’histoire, de la trajectoire personnelle et des secousses sociétales, du réel et de l’imaginaire. C’est un paysage qui arrive « sans frapper », « sans sursaut ni salons grands voyageurs », « avec une présence progressive » et « sans point d’orgue ». C’est comme un jeu de cartes où les atouts sont le site, le corps, le regard et l’image. C’est donc une matière nomade, déroutante, sans interdit ni revendication, qui emprunte, dans un pêle-mêle étonnamment actif, au Pays Basque et ses légendes, à l’art paléolithique, à la poésie d’Emily Dickinson et à une effervescence de sensations, de souvenirs, de sentiments et d’émotions. Maxime Morel pratique également un creusement vertical, ouvre des brèches et pénètre le réel par paliers en interrogeant ses couches successives, en multipliant ses facettes et en faisant remonter tous ses possibles. Il libère un équilibre fragile qui a les ressources de l’eau sous toutes ses formes : vive, dormante, répandue, hasardeuse, transparente, sinueuse, bondissante, violente, portée vers l’ailleurs, liée aux autres éléments, transformée en sol mouvant, en brume, en nuée. Tout est fluant, ondoyant, inconstant. Ça déborde de partout. Plus de digue protectrice. Ça passe par-dessus bord. Tout est naissance. Tout est disparition. Étrangement, efficacement bipolaire.

Maxime Morel ne néglige aucune occasion de régler sa poésie sur l’art paléolithique, « la forme artistique découverte le plus récemment ». Elle partage avec lui la même idée de « l’arpentage », de « la vibration » et de « la lenteur », et le même refus de « l’ostentatoire ». Elle a aussi besoin de beaucoup de temps pour laisser apparaître ses motifs : « Il faut alors choisir un point de vue bien particulier, habituer son regard à une logique neuve. C’est extrêmement émouvant. » Maxime Morel est un chasseur à l’affût. Sa méthode consiste à attendre : « regarder, passer son temps à regarder dehors, est un moyen d’éprouver de l’empathie, de comprendre comment les choses fonctionnent, de pouvoir les aimer, les haïr ou les craindre profondément, d’en saisir aussi la beauté, et d’une certaine manière, d’être en discussion avec ces choses que l’on regarde ; de faire advenir la parole entre soi et le paysage. » Ainsi, viennent les mots. Ils s’assemblent et se densifient. Ils ont traversé le paysage.

Une telle approche repose sur des techniques de fragmentation et de collage dont les effets sont hautement transgressifs et produisent de l’accidentel, du décentrement et finalement une singulière vivacité. On y découvre un principe constant d’éclatement et de rapprochement qui fusionne l’abstrait et le physique, le littéral et le figuratif, le trivial et le sentimental. L’écriture se présente comme un personnage qui appelle, épelle et épluche le paysage, c’est-à-dire tout ce qui l’entoure et d’une certaine manière le façonne. Ce personnage, toujours si intensément engagé dans sa lancée, se nomme bien sûr « Écriture ». Écriture, « on dirait que ses yeux n’ont pas de paupières ». Écriture « continue à regarder même quand tout est éteint », « quand tout est sous clef et sous alarme ». Écriture-Endorphine « ne se lave pas et sa peau est très rouge ». Écriture a aussi ses faiblesses, « ses jambes ne fonctionnent plus ni pour actionner le vélo ni pour descendre les escaliers en pierre ». Mais Écriture ne reste pas longtemps immobile. Un coquillage qui marche sur le sable. Écriture prend son allure. Une vague l’emporte. Écriture « rentre dans son paysage ».

Poésie-Paléo impose une présence tumultueuse et composite. Elle a toutes les qualités du « crabe bouilli » de José Bergamin : « Attention ! Manger une pomme est plus facile que manger une orange ou une grenade. Et manger une orange ou une grenade est plus facile que manger un crabe bouilli. L’œuvre artistique peut être pomme, orange, grenade ou crabe bouilli, et point n’est besoin d’ajouter que, dans ce dernier cas, elle nécessite un plus grand effort de compréhension : sans compter que c’est déjà bon signe, pour l’art, qu’on ne sache pas par quel bout le prendre. ».

C’est une bonne surprise.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Œuvre en couverture :
Anne-Laure Garicoix – Mille et une vies sous les paupières (acrylique sur papier, 2019)


Éditons Exopotamie, mars 2021
160 p.
17 €


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