Un petit monde, un monde parfait de Marco Martella par Cécile A. Holdban

Les Parutions

07 juil.
2018

Un petit monde, un monde parfait de Marco Martella par Cécile A. Holdban

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            Novalis disait : « Le paradis est dispersé sur la terre, c’est pourquoi nous ne le reconnaissons pas. Il faut réunir ses traits épars. » C’est précisément ce à quoi s’est employé Marco Martella dans ce livre où il réunit une douzaine de ces « traits épars » du paradis, dont il nous rappelle, au passage, qu’il vient du mot persan pairidaëza, signifiant justement : « jardin ». Le fondateur de la revue Jardins semblait tout désigné pour nous guider dans ce « petit monde », ce « monde parfait », dont l’écrivain Vita Sackville-West a fait la définition même du jardin, dans son long poème The Garden, et qu’elle a traduite dans celui qu’elle créa à Sissinghurst.

            Pour Marco Martella, le jardin est l’imago mundi, le reflet de notre rapport au monde. Exercice de liberté, de subversion heureuse et bienfaisante, le jardin n’est pas qu’un « microcosme protégé », c’est également – et surtout, dans une rationalisation et une uniformisation croissantes de l’espace – une véritable « rupture dans le territoire ». Il incarne une forme de résistance aux principes mêmes de notre civilisation, parce que ses valeurs sont « la lenteur, la patience, la nécessité pour l’homme-jardinier de connaître intimement la terre, de l’explorer chaque jour avec passion, d’être conscient des liens qui l’unissent aux choses et aux êtres vivants dont il partage le destin ».

            L’intelligence de la démarche de Marco Martella est de guider le lecteur aussi bien dans la magnificence de Versailles que dans les friches de Saint-Cyr-la-Rosière, parmi les monstres du sacro bosco de Bomarzo, sur les pas de Chateaubriand ou de Herman Hesse – dont le petit « balcon sur l’Europe » de la Casa Rossa à Montagnola est appelé à disparaître sous la gangrène immobilière –, sur les traces des fées de Cottingley nées du « désir de merveilleux » et sur celles du fantôme de Jorn de Précy dans son jardin imaginaire de Greystone.

            À travers ces errances électives, Marco Martella tente de nous éveiller à ce qui nous entoure, à ce cosmos dont parle Ralph Waldo Emerson dans son essai Nature, mot auquel il prête le sens de beauté. Cette attention aux mots, à leur signification première, presque ontologique, irrigue le propos de ce livre, où il nous est rappelé que le mot grec physis que l’on traduit, faute de mieux par « nature », désignait, chez les philosophes présocratiques, le monde réel qui les entourait, mais également celui des songes et des dieux, autrement dit « ce qui se produit et ce qui pourrait se produire ». Le jardin – les jardins célébrés par Marco Martella – incarne cette potentialité. Il en est le creuset. Il ramène l’homme à sa juste dimension, l’invite à davantage de modestie et à reprendre la place, humble et émerveillée, qui lui revient dans le vivant :

 

  Être là c’est beaucoup, a écrit Rilke. Il se peut que pour nous être là soit juste faire partie du mouvement, et acquiescer, plongés jusqu’au bout dans la matière du monde.

 

            Pour Marco Martella, pénétrer dans un jardin, c’est comme ouvrir un livre, et à le lire, on a, il est vrai, le sentiment de marcher avec lui. Jardin et livre ont en commun d’offrir cette « fuite romantique hors du monde » dont parle Thomas Mann. Mais une attention inquiète irrigue chacun de ces petits traités – au sens quignardien du terme – des lieux heureux. Certains de ces jardins semblent en effet menacés, comme celui où Hermann Hesse s’était retiré, trop fragiles et fragilisés pour résister aux coups de butoir de ce progrès ne laissant aucune place à l’espoir et à la liberté, que Pasolini compare à un « génocide ».

            Car il ne s’agit pas là d’une promenade bucolique à travers quelques espaces verts aménagés, animée par la nostalgie de l’Éden perdu, dont ils seraient les miniatures. Pour Marco Martella, l’enjeu de la réflexion à laquelle il entend amener le lecteur, c’est de prendre conscience que la désacralisation du vivant et de la nature à laquelle l’homme moderne continue de se livrer, se traduit pour lui par l’aliénation de sa liberté et le renoncement à la beauté.

            À ce titre, de tous les jardins ici évoqués, le plus fascinant est cette improbable friche dans le Perche, où un ancien membre portugais du « groupe de Tarnac » a « pris le maquis » il y a quelques années. Cette ancienne demeure aristocratique à l’abandon, il l’a acquise pour une bouchée de pain. L’ancien révolutionnaire partisan de la deep ecology et de l’écosabotage ne s’est pas converti subitement aux rêves de luxe. La villa rococo et le domaine sont restés en l’état. La seule trace d’une présence humaine – oasis qui n’est pas sans rappeler celui de Quebrada de Jerez au Chili dont il est question plus loin – est un petit jardin paysan, un simple potager avec quelques serres, dans lequel Miguel conserve les semences du haricot du Saint-Sacrement, de la patate bleue de la Manche ou du melon Sucrin de Honfleur que lui donnent ses voisins :

 

  Et lorsque je lui ai demandé s’il avait vraiment abandonné ses rêves révolutionnaires, il a fini par répondre à demi-mot, en baissant les yeux, que le seul acte vraiment politique qu’il connaissait maintenant, c’était, peut-être, ce qu’il faisait : mettre des graines de côté. “Ce n’est pas la peine de penser à demain, voyez-vous, il vaut mieux penser à après-demain…”

 

Marco Martella a ainsi retrouvé dans un jardin en friche du Perche le disciple de l’homme qui plantait des arbres de Jean Giono.

            Il n’existe pas de jardinier malheureux semble nous dire Marco Martella, pour qui le jardin est « un enclos où pendant un temps l’existence sur terre se transforme en bénédiction ». Candide avait bel et bien raison : cultivons nos jardins.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Poesis, 2017
114 p.
18 €


 

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