Geneviève Huttin par Frédérique Guétat-Liviani

Les Célébrations

Geneviève Huttin par Frédérique Guétat-Liviani

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Un jour tu annonces à ta mère que tu vas travailler à la radio.
Ta mère doute de ta puissance vocale. Toi, tu lui réponds :

Non, ma voix n'est pas assez forte

Ma voix renvoie l’écho de ton silence¹

Ta voix est une histoire qui se mêle au chœur des voix sourdes. Tu as écrit un livre qui s’appelle comme ça : L’histoire de ma voix.
Ta voix c’est aussi mon histoire, la nôtre. Une voix pour ceux qui ne dorment pas.

Nous avons passé tant de nuits avec toi. Avec ta voix qui parle bas, pour ne pas déranger, ta voix qui fait parler les autres, ne fait pas parler d’elle. Rendant au silence la possibilité d’être.

Ta voix, tu dis d’elle, qu’elle est étrangère à la langue qu’elle emploie.
Tu préfères le silence à la répétition, c’est pourquoi tu chemines vers la source des générations. Pour éviter la répétition.

 Je suis un corps qui ne parle pas la langue qui lui conviendrait, j’ai un divorce en moi-même²

 Ton écriture laisse entendre la précarité des langues spoliées par les guerres, comme celle de ton père, lorrain parlant clandestinement, une langue empêchée.

 Plus tard, je ferai ta connaissance. Tu es l’amie de mon amie, Roxana Paez, poète argentine dont tu traduis les poèmes.

Je te rencontre, ta voix s’incarne. Nous marchons dans la rue, nous marchons et parlons, de la maladie , de ce qu’elle inscrit étrangement dans nos corps, mais surtout de ce qu’elle libère en nous. Nous parlons aussi du secret de la mort qui nous entame mais n’entame pas la joie d’être en vie. Et nous parlons du temps que tu as maintenant, un temps nouveau. Ta retraite, c’est du temps pour l’écriture, du temps pour la lecture. Un temps grand ouvert.

C’est durant ce temps-là qu’avec Anne Talvaz, Véronique Pittolo, Roxana Paez, Vanina Maestri, Nelly George-Picot et Claude Ber, vous vous réunissez sous le nom d’ Invisibles pour faire entendre d’autres voix .

J’étais passée dans leurs visages. Dans la langue l’autre. Ça suffirait.
Le goût des mirabelles vient de la terre et de la disposition des coteaux…
De la dureté incroyable de ces branches qui reflètent la lumière. La langue l’autre c’est celle qu’on écrit.³

Au mois de mars cette année, ta voix s’est tue.
C’est la première fois que ton silence m’est insoutenable.

 

 

 

¹ Une petite lettre à votre mère Le préau des collines 2014
² Cavalier qui penche Le préau des collines 2009
³ La langue l’autre Fidel Anthelme x 2017