j’aime le mot homme et sa distance de Florence Pazzottu par Frédérique Guétat-Liviani

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01 sept.
2020

j’aime le mot homme et sa distance de Florence Pazzottu par Frédérique Guétat-Liviani

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j’aime le mot homme et sa distance de Florence Pazzottu

Le titre est énigmatique. Le sous-titre plus encore. J’ai d’abord cru que l’auteure l’avait choisi pour semer le doute cinématographique, puisqu’elle écrit et réalise aussi. J’ai ouvert le livre, la citation en exergue n’était pas moins surprenante. Pas celle d’un écrivain, pas celle d’un cinéaste mais quelques lignes extraites d’une interview dans l’Équipe. La phrase d’un cycliste après la chute, dans un dernier virage, juste avant la victoire, celle qui n’aura pas lieu. J’entends alors autre chose, quelque chose qui a à voir avec le sport, pas celui qui engraisse les actionnaires de la chaîne Décathlon ! Non, le sport, dans sa vieille acception, avant qu’il ne s’anglicise. Quand il s’écrivait desport et nous parlait de transport, d’emportement. Quand le mot sport parlait d’amour. j’aime le mot homme et sa distance (cadrage-débordement) ne parle que de cela, l’amour et ses avatars. F.P. en défenseuse, prend le poème à contre-pied. Avec efficacité et grande élégance.

Au commencement, un poème comme une route en lacet. Trois brèches s’y inscrivent, elle les nomme fe(i)nte, au verso devenue fente. F.P ne nous trace pas le chemin. Elle ouvre la dualité des voies. Les chemins qu’elle emprunte sont sinueux, l’écriture est tendue. Les astérisques tracent de nouveaux sillons, nous attendent au tournant. Mais la définition donnée n’a rien de définitive. Parfois sur la page, les mots tombent, les lignes se courbent pour sortir du labyrinthe. Un peu plus bas, l’auteure les aide à se redresser, solidaire, elle l’est aussi des caractères : suivrelemurdupossible.  On ne sait plus alors en quel lieu être et suivre s’entremêlent mais on discerne l’air de rien d’autres amours fantômes. Les siens, les nôtres, ceux de Bérénice, d’Antigone, d’Iseult, de Chimène… F.P ne tente pas de les retenir, elle les laisse passer. C’est ainsi que rien, devient quelque chose : un poème.

L’autre est au centre de cette écriture. La douleur de l’autre, la plus terrible, c’est l’imprononcée.

 il y a dans le tissu de mon histoire  la / déchirure d’un drame qui ne m’est pas arrivé.

Le poème plier le drame fouille dans la substance de la langue. L’enfant n’a pas de mots pour dire la cave et sa ténèbre. C’est une minuscule ponctuation qui lui fera signe. Un point-virgule se refusant à l’injonction du prévisible et du final.

F.P annonce la couleur :  défier le tragique. Son écriture, pleine de tourments et de rires, creuse un trou libérateur : autrement dit / déduire / rien / pour qu’on en rie. Pas question de reprendre ce qui a été donné, seulement se soustraire à l’intimation.

 je n’aime / pas les règlements et je ne compte / qu’en poème.

Dans ce livre tout compte : les points comme au match, les virgules et les parenthèses, les nombres, surtout les impairs, les signes, tous les signes, sans hiérarchie.   

Une accélération, juste avant l’échappée. Quarante-cinq contes d’ici en hommage aux Contes d’Ise. Ils ont la fulgurance d’un échange épistolaire certes électronique, néanmoins amoureux. Aller-retour incessant où l’attente, l’espoir, la solitude, la tristesse, la joie, le rire, les pleurs… s’entrechoquent sur la touche envoi. Lisant, nous partageons l’interminable attente …Ces messages ont eu réelle existence, F.P. le précise. Depuis, ils ont disparu, on n’archive pas les SMS, on ne les orne pas d’un ruban de couleur. Ils finissent tous dans la grande corbeille numérique qui les renvoie au néant par le simple geste de l’index posé sur le mot Supprimer. Mais ici, durant quarante-cinq inspirations-pulsations, l’auteure leur donne asile. Car le bouleversement du poème n’est pas effacement.

Cependant qu’un infime déplacement alphabétique, une mise en parenthèses d’L transforme insidieusement le couple en coupe, l’amant en menteur, tandis que le i de l’aimé s’immisce dans l’amour pour qu’une lettre, une seule, induise le soupçon de la haine, F.P. écrit

Poésie ne vaut que pour le saut ou le geste qu’elle tente.

Pour l’amour, il en va de même.  peau aime n’est pas peau de chagrin qui nous réduit et nous retient. Il est friable, parfois se fend, précaire par sa tension, par là-même accroît le champ de son action. Et quand il entre sur le terrain pour faire le trou, c’est un trou médian, un trou originel sans lequel l’écriture ne pourrait avoir lieu.

Et au bout du compte-conte, l’amour fait poème. Oui, en toutes lettres.

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