Julien D'Abrigeon-Qui tombe des étoiles par Jules Vipaldo

Les Parutions

27 sept.
2025

Julien D'Abrigeon-Qui tombe des étoiles par Jules Vipaldo

Julien D'Abrigeon-Qui tombe des étoiles

 

Un plongeon réussi

 

 

 

Je ne suis pas tombé sur ce livre par hasard. Mais, il est plus juste de dire que je suis tombé dedans. « Tomber en trombe » est l’impression que procure Qui tombe des étoiles, le nouveau livre que Julien d’Abrigeon publie au Quartanier, tant le thème de la chute est au centre de cet opus, et constitue à la fois son moteur et son comburant. Je propose de nommer « figure de la chute-livre », le sentiment de cette lecture jubilatoire, sans freins ni frayeurs, et, sans doute, des plus enthousiasmantes, qui vous libère, en tout cas, des pesanteurs habituelles du genre, jusqu’à ce que, le SOL se rapprochant immanquablement et à toute vitesse, la gravité finisse par figer cette euphorisante légèreté, que rires et sourires ne se transforment forcément et férocement en rictus, et que le réel ne se rappelle à vous sous l’excessive dureté et compacité d’un plancher des vaches des plus vachards/revanchards, sur lequel l’écrasement du sujet volant ou tombant n’est plus qu’une question de secondes, voire, de dixième de secondes. On ne brave pas, impunément, la loi de la gravité universelle, martèle D’Abrigeon, qui en bon auteur ardéchois, ne saurait choir ni déchoir ! C’est, d’ailleurs, le seul ici qui retombe sciemment sur ses pieds, avec le lecteur, ballotté mais confiant, qui, emporté dans le tourbillon combiné de grands et petits sauts successifs, touchera le SOL final sans encombres (Louée soit la « littérature expérimentale », comme on la qualifie péjorativement, quand bien même c’est souvent la seule qui permette d’authentiques expériences de lecture) !

 

Notez que le réel, dont cause, à sa vertigineuse façon, ce livre, est tout autant dans les lois physiques qui régissent la « chute », beaucoup moins « libre » qu’il n’y paraît, que dans le décryptage, à l’œuvre, des aspirations et motivations sociétales, archétypales, névrotiques ou capitalistiques qui agitent, ici, les personnages. Et le SOL, dans cette optique « fracassante », n’est que le solde de tout compte, sur lequel s’écrasent aussi bien le pervers narcissique, la menteuse pathologique, le roi de la voltige, la candidate parfaite, le sportif de l’extrême, que les bulles financières et le « rêve américain » ; et tout autant, mais pour des raisons diamétralement opposées, les migrants, les résistants, les féministes ou les opposants de toute sorte, qui subissent les conditions de vie qui leur sont faites ou les états voyous et les autocrates auxquels ils tentent de s’opposer.

 

La forme de Qui tombe des étoiles est celle d’une précipitation, qui trouve sa source tant dans l’écriture heurtée, resserrée, percussive et joueuse, de Julien d’Abrigeon, que dans la précision de l’agencement des passages diversement répartis et alternés qui fondent toute la trame et l’intérêt de son livre. Plus la chute est rapide, les sensations, vives, plus l’histoire des personnages sera hachée, fragmentaire et samplée. L’accélération de la chute altère la matière même des lettres et récits souvent lapidaires. Le principe de construction du livre, lui, est une suite haletante de chutes, enchaînées à toute allure, qui s’imbriquent les unes dans les autres (les petites, laconiques, à l’intérieur des grandes, plus développées ou contextualisées). On passe, ainsi, d’un moment à l’autre, de la « chute enchantée » au désenchantement de toute chute ou de toute vie fantasmée, sur fond d’aperçu général et d’histoire sélective de la question.

 

D’une chute, l’autre, la dynamique et la dynamite du livre se mettent en place. On tombe, certes, mais on tombe à plusieurs, dans différentes situations, sous plusieurs latitudes et sous plusieurs angles. On tombe parfois de haut et, très souvent, dans le panneau. On est le jouet d’une époque, d’un désir irrépressible, d’une maladresse, d’un garde-fou fatigué, d’une humeur massacrante, d’un excès de confiance ou d’un régime autoritaire. Chaque chute s’articule à la chute précédente ou suivante. Ce qui domine la forme du livre est, dès lors, cet « effet domino » des paragraphes qui, en tombant, font chuter les autres, tous les autres, dans une réaction en chaîne dans laquelle le livre trouve son élan ; l’écriture, son énergie cascadante, son humour à froid et ses rebondissements.

 

Mais « l’effet domino », ourdi par le montage et la succession des paragraphes, n’est rendu possible que par les blancs ou intervalles qui, à la fois, les bornent et les séparent. Et par le mouvement qui se crée de l’un à l’autre : ce « tombé » du fragment, qui, en s’abattant, entraîne les autres dans sa chute et à sa suite. Puis, de chute en chute, jusqu’au dernier et à la chute finale que, contre toute attente, on espère « solaire », et même, « révolutionnaire ».

 

D’un énoncé à l’autre, la chute est attendue ; le ressort, salvateur ; la relance, imparable ! Et cette succession cataractante de chutes verticales provoque des échos et des rebonds incessants, dans la narration, les bribes de documents, la fiction latente des pièces rapportées, tout autant que des « frictions » dans l’écriture qui relève, en définitive, de la résistance de la langue aux modèles en vigueur ainsi que de notre propre coefficient de pénétration dans le texte et dans le grand air vigoureux et défrisant de cette lecture.

 

Dans la chute, pas le temps de finasser, l’écriture ira au plus court, au plus vif, au plus intrépide et au plus précipité. Il y aura des effets inédits de condensation et de vitesse. Les mots, comme les situations, pleuvront drus et vous tomberont dessus. Le lecteur de roman convenu (pléonasme ?), c’est-à-dire sous-tendu par les habitudes du genre, fera, donc, lisant ce livre, l’expérience du saut dans l’inconnu. Voire, du saut dans le vide comme du saut dans le livre ! En bon mouton ou toutou qu’il est, il passera sur les raccourcis, les incongruités et les inconvenances du style, voulu par l’auteur, en se raccrochant aux faits et gestes des personnages et aux branches. Et il aura raison, car, comme en chute libre, le lâcher prise est ici nécessaire pour apprécier la vue, le paysage, et la jouissance de la plongée.

 

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Le Quartanier, 2025
SÉRIE QR
216 p.
20 €

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